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face du suffrage universel : « De la Justice ! de la justice ! » s’écrie-t-il maintenant.


« S’attendrir sur les calamités humaines, cela est fort beau ; mais le profond oubli du bien et du mal, mais cette amalgamation du juste et de l’injuste, cette mélasse brevetée de la philanthropie, cela assurément n’a rien de beau, et je me dis parfois que jamais la sottise humaine n’a pris pour Dieu une idole aussi monstrueuse, un fétiche aussi grotesque que le Momojumbo blanc tout façonné de bâtons pourris et de vieilles défroques, d’affectations mortes et de grimaces modernes, auquel Exeter-Hall chante ses litanies. — Les adorateurs de ce dieu-souche ont déjà fait de grandes choses dans le monde noir et blanc ; ils en préparent de plus grandes encore… Un niais d’orateur, versant la charité à pleine bouche du haut d’une estrade, semble à beaucoup un objet charriant, à presque tous une chose inoffensive ou insignifiante. Examinez-le bien cependant, sondez-le jusqu’à pénétrer le fond de sa nature, et il vous apparaîtra comme un être plein de laideur et de périls. Ses belles phrases captivent les longues oreilles et allument un enthousiasme quasi-sacré dans bon nombre d’ames ; mais tout cela se jette à la traverse des éternelles réalités de l’univers, et la boîte de Pandore n’est pas plus terrible que l’évangile qu’il prêche avec ses règnes de l’amour, ses fraternités universelles, ses paradis pour tous pêle-mêle… et ses invocations perpétuelles à la religion chrétienne. La religion chrétienne ordonnerait-elle donc l’amour des gredins ? J’espère qu’elle prescrit, au contraire, une saine et mâle haine pour les méchans. Sans cela, qu’en puis-je faire, au nom du ciel ? Moi, pour ma part, elle ne m’arrange pas à ces conditions. Haïr les méchans, ai-je dit, vouer une inimitié irréconciliable et inexorable aux ennemis de Dieu, c’est la moelle épinière de toute religion. Le christianisme !… comment vous adresser la parole, à vous, malheureux, qui êtes tombés assez bas dans le bourbier pour que le culte des pythons et des monstres à la bave venimeuse vous semble le culte de Dieu ?… Votre christianisme n’est point seulement une religion qui n’est pas vraie ; c’est un résidu putréfié de religions décédées qui, depuis long-temps déjà, ne sont que des cadavres pour tous les honnêtes odorats, et dont la puanteur… O cieux éternels ! n’en serons-nous jamais délivrés ? — Haro sur ces solennels charlatans et ces mensonges vivans, qui viennent prêcher contre les lois du ciel ! Qu’ils ferment leur ballot de colporteurs et qu’ils vident la place ! Les pourchasser et en débarrasser la terre, voilà l’œuvre sainte ! C’est assez comme cela de tumultueuse et nauséabonde sensiblerie… Si nous n’y prenons garde, ce débordement de morbide intérêt pour le vice pourrait bien engloutir la société comme un déluge, et ne laisser derrière lui, au lieu d’un édifice social habitable pour des hommes, qu’un continent fétide à l’unique usage des dieux de la fange et des créatures qui marchent sur leur ventre.

« Justice, justice envers et contre tous ! Donnez-nous la justice, et nous vivons ; ne nous donnez que la contrefaçon de la justice, et c’est fait de nous ! Accomplir à l’égard de chacun la volonté du ciel, tel est le but, le seul but véritable. Découvrez, je vous le répète, quelle est la loi de Dieu à l’égard d’un homme, et faites-en votre loi. Si la nature et l’éternelle réalité aiment vos meurtriers, persistez dans la route où vous êtes entrés ; mais si la nature et les faits ne