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pour maintenir l’harmonie générale, les mandataires les mieux en règle de l’humanité entière décideront en vain que la misère et le châtiment des fautes sont contraires au droit : jamais le soleil ne verra une communauté où tout ira bien sans l’intervention de la souffrance et du châtiment. Que signifie donc la vaine alchimie des formules et des théories ? A quoi bon discuter ce que doivent être les titres et les papiers des gouvernemens pour être en règle ? Le seul gouvernement légitime est celui qui représente le vrai souverain : le possible et le nécessaire.

« Peuples ou individus (je cède encore la parole à M. Carlyle), nous n’avons qu’une condition à remplir. Pour prospérer dans le monde, pour y trouver la paix, le succès et le progrès, il faut que nous puissions distinguer les vrais règlemens de l’univers par rapport à nous et à nos affaires. Peuples ou individus, ces pouvoirs-là nous conduisent toujours à la victoire ; et quel que soit le guide qui nous met à même de leur obéir, — qu’il soit un autocrate de toutes les Russies ou un parlement chartiste, le grand-lama ou la force de l’opinion publique, l’archevêque de Cantorbery ou Mac-Croudy, le docteur séraphique, avec son dernier évangile d’économie politique, — celui-là, sachons-le, nous met en voie de complaire au grand régulateur de l’univers, et il est le plus ami de nos amis. — Par là même, celui qui fait le contraire est le plus ennemi de nos ennemis. Une fois pour toutes, tenons-nous-le bien pour dit.

« Mais comment déchiffrer les éternels règlemens de l’univers à notre égard ? Comment reconnaître, au milieu de tous les contre-sens et de tous les barbarismes enchevêtrés par la niaiserie humaine, quel est le vrai message divin qui nous est adressé ? Tout le monde me répond : Comptez les têtes, consultez le suffrage universel au moyen des boîtes électorales, et il vous l’apprendra. Le suffrage universel, les boîtes électorales, les additions de têtes ! En vérité, je m’aperçois que nous sommes arrivés dans d’étranges parages spirituels. Dans le cours d’un demi-siècle, un peu plus, un peu moins, il faut que l’univers ou les têtes des hommes aient bien changé. Il y a un demi-siècle, et depuis le père Adam jusque-là, l’univers, à ce que j’avais entendu dire, n’était pas accoutumé à s’expliquer si clairement. Il n’avait point l’habitude de porter ses secrets sur sa face, pour qu’ils crevassent les yeux de tous les passans. Bien au contraire, il cachait obstinément tous ses secrets aux étourdis, aux méchans et à tous les êtres vils ou sans sincérité ; et il ne les découvrait en partie qu’aux sages et nobles natures qui de mon temps ne formaient pas la majorité. »

M. Carlyle, on le pressent, s’attaque à la fois au suffrage universel et aux bases mêmes de tout gouvernement représentatif. Ici encore, nous laisserons là provisoirement sa conclusion pour nous occuper seulement des prémisses dont elle découle. Dans tout ce qui précède, nous ne voulons voir que ces mots : Le monde ne porte pas ses secrets sur sa face. Est-ce vrai, est-ce faux ? Nous sommes fort intéressés, en France, à le savoir, car nous avons joué notre vie sur l’hypothèse que la vérité est quelque chose que la foule reconnaît forcément à première vue.