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et qu’elle ne s’en laisserait détourner ni par de dangereux ajournemens ni par des manifestations populaires. Les administrations départementales réclamaient d’une voix unanime la conquête de cette garantie, qui pouvait seule faire cesser leur humiliante subordination ; enfin une masse considérable de fédérés déjà réunis dans Paris n’attendait que l’émission du décret pour former le noyau de cette force départementale dont la création aurait changé le cours de tant d’événemens ; mais la majorité, qui avait accueilli avec transport la proposition de Buzot, n’osa pas ou ne sut point la faire aboutir. Inquiète du mécontentement que ce projet suscitait dans Paris jusqu’au sein de cette bourgeoisie imprévoyante qu’il était pourtant destiné à protéger, irrésolue en présence des difficultés de détail qu’on faisait miroiter devant ses yeux, elle ajourna cette question vitale pour poursuivre de moins décisifs et moins utiles succès ; et lorsqu’à la veille de la crise qui décida de son sort, elle voulut enfin la reprendre, la gironde s’aperçut avec effroi qu’elle n’était plus la majorité, et que ses irrésolutions l’avaient mise à la merci de ses ennemis.

Au lieu de ménager sa puissance et sa force pour conquérir des avantages effectifs, le côté droit de la convention les dépensait dans de vagues imprécations et de vaines attaques contre les hommes. Fourvoyant son parti dans une tentative sans résultat possible, Louvet demandait, par exemple, la proscription de Robespierre, et dressait contre le grand-prêtre de la démagogie un acte d’accusation fondé sur des projets supposés de dictature. Or, quoiqu’en 1792 Robespierre fût déjà un chef de parti plein d’orgueil et de fiel, quoiqu’il fût parvenu à imposer à des gens qui ne respectaient rien le culte de sa personne, et qu’une singulière confiance en lui-même élevât parfois jusqu’à l’enthousiasme sa froide et médiocre nature, son action sur son parti était alors toute morale, et lui-même ne soupçonnait probablement pas encore la sanglante puissance que les événemens allaient lui donner. Une pareille attaque était mieux fondée relativement à Marat ; la seule pensée politique qui se dessinait en effet nettement dans les rugissemens du tigre était une pensée de dictature, et Marat cédait en ceci au sentiment qui inspirait à un autre monstre le vœu qu’un grand peuple n’eût qu’une seule tête pour l’abattre d’un seul coup ; mais il fut malhabile au parti modéré de livrer un combat pour renvoyer cet homme devant les tribunaux sans prévoir un acquittement, premier degré de l’apothéose de l’être impur qui jusqu’alors réunissait du moins la convention dans un sentiment unanime de dégoût et d’effroi.

Les foudres de la gironde allèrent aussi s’égarer et s’éteindre sur la tête méprisée d’Egalité. Ce parti demandait sa proscription, contre laquelle le député de Paris était défendu auprès des uns par ses vices, auprès des autres par sa nullité. Dans cette affaire éclata au grand jour