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cadavre survit au corps dont la vie s’est retirée, elle continua de discourir et de légiférer, incapable d’être galvanisée même par le tonnerre du 2 septembre.

Tandis que, par une telle conduite, l’assemblée initiait le pays à la pratique des vertus républicaines et à l’imitation des mœurs antiques, Paris, éperdu de délire et d’effroi, l’oreille tendue au bruit du tocsin et du canon d’alarme, livrait sa liberté, ses richesses et sa vie à deux cents inconnus que la résolution de quelques hommes de cœur aurait suffi pour anéantir. Des misérables, pour la plupart perdus d’honneur, sans aucun mandat de la population ni même des clubs qui les avaient vomis sur la cité, se déclaraient pouvoir municipal, et, prenant la dictature en présence de la représentation nationale muette et confondue, ils expédiaient des commissaires aux autres communes et des instructions aux armées. Sans un soldat à leurs ordres, en présence de soixante mille gardes nationaux, ces hommes osèrent concevoir la pensée d’enlever en plein soleil dix mille citoyens de leur domicile et de transporter dans leur repaire correspondances, mobiliers, assignats et bijoux, tout ce que convoitaient enfin des cupidités auxquelles la colère de Dieu envoyait une heure. Mesurant leurs droits à la terreur qu’ils inspirent, ils interdisent de franchir les barrières sous peine de mort, de circuler en voiture ou à cheval, de passer le seuil de sa porte à certaines heures. Pendant huit jours ils arrêtent dans la cité toute communication, tout mouvement, toute vie, comme l’aurait fait le glaive de l’ange exterminateur. Ils vont plus loin, et ordonnent à huit cent mille hommes de tenir ouverts à l’avance les portes de leurs maisons et les tiroirs de leurs secrétaires, afin que le petit nombre de bandits chargés de ces expéditions ne fût pas même arrêté par un retard[1]. Tout cela s’exécute à point nommé, comme un simple arrêté de police. Un homme ceint d’une écharpe et dont nul ne sait le nom conduit des troupeaux de bourgeois en prison comme un bouvier mènerait des troupeaux de bœufs à l’abattoir. Chacun livre ses lettres, ses diamans, ses assignats et son or avec une docilité telle que les greniers de l’Hôtel-de-Ville et bientôt après une foule de dépôts particuliers sont encombrés des secrets de toutes les familles et des richesses de plusieurs générations. Chaque matin, au signal du canon, recommence cette inquisition, qu’aucun despote n’avait embrassée même dans ses rêves. Chaque soir, des feux allumés par les citoyens éclairent cette longue fête de la tyrannie, qu’allait terminer d’une façon digne d’elle un holocauste colossal.

  1. Il est à peine nécessaire de dire que ces injonctions sont extraites des arrêtés de la commune de Paris et du comité de surveillance durant la dernière quinzaine du mois d’août 1791. Voyez l’Histoire parlementaire de la Révolution française, par MM. Bachez et Roux, tomes XVII et XVIII.