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municipes des Gaules et aux cités tributaires de l’Afrique et de l’Asie, Remplacer par les faubouriens de Paris les Quirites de la cité reine, faire de la place de Grève le Forum de la France, telle était la sauvage pensée qui fermentait dans l’antre des jacobins, et qui avait Robespierre pour professeur et Marat pour prophète. Or, la Rome sénatoriale avait disputé le gouvernement du monde à un parti qui, tantôt, par les armes des soldats, tantôt par la parole des démagogues, tantôt par la torche des incendiaires, aspirait à le conquérir pour en faire un semblable usage, et les montagnards avaient du moins des ancêtres dans Marius, Clodius, Céthégus et Catilina. Pour les girondins, ils étaient sans filiation, comme ils ont disparu sans postérité.


III

Quel était cependant l’état de la France lorsqu’une insurrection de faubourg changeait toutes les conditions de sa vie sociale et la faisait, passer du gouvernement par le pouvoir au gouvernement par le pays ? Quelle preuve la nation avait-elle donnée depuis trois ans et venait-elle de donner ce jour-là même de son aptitude à contenir les minorités factieuses, de son respect pour les lois et de sa résolution de mourir pour les défendre ? N’était-elle pas, au mois d’août.1792, plus incapable qu’aucun peuple ne l’avait été dans aucun siècle de supporter des institutions dont l’usage présuppose la plus entière possession de soi-même ? On en va juger.

L’assemblée nationale avait flétri le 20 juin ; à la veille du 10 août, elle avait repoussé aux deux tiers des suffrages l’accusation capital portée par le parti républicain contre le général Lafayette, dernière et persévérante expression du parti constitutionnel ; mais cette majorité bourgeoise se rompit au bruit du canon, et les Marseillais ne triomphèrent pas moins complètement de la législature que de la monarchie. L’assemblée ne se défendit pas plus que le roi. Tous les plébiscites présentés par les vainqueurs au bout de leurs piques furent immédiatement convertis en décrets, et, dans cette enceinte où la constitution avait reçu tant et de si récens hommages, fut prononcée sans protestation la déchéance du prince, qui, réfugié avec ses enfans au sein de l’assemblée, embrassait comme un suppliant antique l’autel déserté de la patrie et de la loi. Prolongeant pendant six mortelles semaines sa carrière d’impuissance et d’ignominie, subissant à chaque séance les injonctions de pétitionnaires qui la menaçaient d’une mort qu’elle ne sut point affronter, la législative n’avait pour occupation que de décréter d’accusation les citoyens dont elle avait proclamé l’innocence, et de tresser des couronnes civiques pour tous les criminels qu’elle avait flétris. Survivant à la catastrophe du 10 août, comme un