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nuages, une accolade convenue d’avance, et la toile s’abaisse mollement sur cette froide mimique.

Je laisse au lecteur à décider si nous sommes dans une situation à jouer à ces jeux innocens. Les plus laborieuses, les plus formidables questions sont posées aujourd’hui et ont besoin d’être résolues. Il n’est donné à personne de les ajourner. Qu’au lieu de les écarter on les mette donc à l’étude, sinon l’on s’expose à ce qu’au milieu du désordre public, de mauvais sentimens réussissent quelque matin à faire prévaloir des solutions funestes improvisées, on ne sait où, par on ne sait qui.

Il y a une justice à rendre au premier magistrat de la république. Les recommandations qu’il avait adressées au conseil général, quand il est venu l’ouvrir, étaient dans un autre esprit. Il provoquait le conseil à aborder franchement le terrain des innovations. « Le meilleur moyen, avait-il dit, de réduire à l’impuissance ce qui est dangereux et faux, c’est d’accepter ce qui est vraiment bon et utile. » Le président de la république avait mille fois raison. Si le programme tracé au conseil général eût été conforme à la pensée qu’il a exprimée, le gouvernement en eût retiré de grands avantages. Dans le moment où nous sommes, le véritable intérêt public, s’il est fermement appuyé par le gouvernement, a la plus grande chance de triompher de tous les obstacles qu’y peuvent susciter l’erreur, les préjugés, les passions égoïstes. On ne vaincrait pas sans combat ; mais qu’importe ? et à quoi servent les succès faciles ? Je demande si la session du conseil général, terminée sans l’ombre d’une opposition au gouvernement, lui a procuré la moindre force.

Voilà je ne sais combien de fois que nous assistons à une même déconvenue. Le président de la république, n’écoutant que son inspiration, fait un avant-propos qui promet et qui excite l’attente du public, et puis, quand on veut lire le livre que les ministres ont dû placer à la suite, on ne trouve plus qu’un gros cahier de papier blanc. Espérons que cette fois aura été la dernière. Ce n’est pas ainsi que les gouvernemens gagnent ou conservent la confiance des bons citoyens ; ce n’est pas ainsi que les révolutions finissent.


MICHEL CHEVALIER.