Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/1050

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des choses. » Nous admirons cette formule, fort belle en effet, qui montre que la législation a un type certain, l’éternelle justice, mais nous n’en tenons compte. Quelle attitude pour une nation qui, pendant un demi-siècle, avait tant exalté la liberté aux yeux des autres, et qui fait profession extérieure d’idolâtrer la justice !

Et, contradiction bizarre, pendant que cette abstraction de l’état reçoit nos hommages les plus serviles, le gouvernement, dès qu’il se personnifie en quelqu’un, roi de quelque branche que ce soit, ou président, est l’objet de notre méfiance, le plastron de nos insultes. Nous ne pouvons rien supporter de lui ; nous ne lui avons aucune reconnaissance pour le bien qu’il fait, et nous lui imputons sans vergogne le mal qu’il ne fait pas.

Ce penchant à s’aplatir devant l’état, cette disposition à lui immoler la liberté et à se faire réglementer à outrance, cette manie de demander à l’autorité de faire les affaires de chacun aux dépens de la société, au mépris de la justice, je prie qu’on dise ce que c’est, sinon le fonds commun des systèmes socialistes. Le socialisme n’est pas, comme le prétendent ses sectateurs, la doctrine de ceux qui ont à cœur les intérêts populaires. Les socialistes réclament en faveur de cette cause sacrée, ils en parlent beaucoup plus que d’autres, et en dehors d’eux on en parle trop peu ; mais il ne suffit pas d’en parler pour la bien servir. Leurs intentions sont excellentes, soit ; mais leurs spécifiques sont des breuvages empoisonnés. Le socialisme n’est pas davantage l’opinion de ceux qui, persuadés que la société n’est pas au terme de ses perfectionnemens, appellent des réformes. Tous ceux qui acceptent le nom de socialistes sont des réformateurs ; mais tout partisan même prononcé de réformes même immédiates n’est pas socialiste. L’essence du socialisme, et c’est en cela que résident son erreur et son tort, est de croire que l’état doit absorber tout, qu’il est responsable de tout, que l’individu en présence de l’état n’a pas plus de responsabilité que l’automate entre les mains de Vaucanson, que l’état ou telle coterie qui le personnifiera (car il faut bien qu’il soit représenté par quelqu’un) peut jeter au travers des divers intérêts privés, pour leur faire à chacun sa part, sa volonté ou son caprice sous le manteau usurpé de la loi, et que cela devient aussitôt la justice. En un mot, ce qu’on nomme le socialisme est l’abdication de la liberté, le renversement de la justice, et le socialiste est l’homme qui ne sait pas, ou qui ne veut pas, ou qui ne peut pas être libre ni être juste. Nos socialistes se croient tout différens de ce portrait, ils en sont l’original même. Qu’ils veuillent bien se palper attentivement, ils finiront par s’y reconnaître. Cependant les socialistes en titre ne sont pas les seuls dont les lignes que je viens de tracer offrent la fidèle image, ni les seuls par conséquent qui méritent de porter ce nom. Tenons-le pour certain,