Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/1031

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un jeune médecin d’origine chinoise fut leur premier disciple. De son côté, le régent ne pouvait plus se passer d’eux ; il écoutait avidement les détails qu’ils lui donnaient sur l’Europe, et surtout il aimait à se faire expliquer la doctrine catholique. Les choses paraissaient en si bonne voie, que MM. Huc et Gabet songeaient déjà à rétablir par l’Inde leurs relations avec l’Europe, afin de se procurer les ressources nécessaires pour fonder une mission à H’Lassa. C’était compter sans Ki-chan. L’ambassadeur chinois continuait de travailler contre eux. Il représenta au régent que les deux lamas du royaume de France, ayant pour but d’introduire leur religion à H’Lassa, étaient par ce seul fait les plus grands ennemis du Talé-lama. « Qu’importe ? répondit le ministre : ce sont des hommes pieux et savans ; si leur doctrine est fausse, les Thibétains ne l’embrasseront pas ; si, au contraire, elle est vraie, qu’avons-nous à craindre ? Comment la vérité pourrait-elle être préjudiciable aux hommes ? » Au fond, Ki-chan ne se souciait nullement de la question religieuse ; mais le séjour de deux Français à H’Lassa était contraire à la politique chinoise, et il ne pouvait le tolérer. Dès qu’il vit que toute sa diplomatie échouait, il déclara, d’une part, aux Français, qu’il voulait les faire expulser, et, d’autre part, il fit sentir au régent que la protection de la Chine lui était nécessaire. Ce dernier, bien que visiblement inquiet, se refusait à toute concession ; l’ambassadeur devint menaçant ; un pas de plus, et les relations diplomatiques allaient être interrompues entre la Chine et le Thibet. Les missionnaires, comprenant que leur résistance ne pouvait être poussée plus loin, annoncèrent qu’ils se résignaient à partir. « Oui, il faut vous mettre en route, leur dit Ki-chan ; ce sera bien pour vous, bien pour moi, bien pour les Thibétains, bien pour tout le monde. » Le régent parut triste et embarrassé. « Les Chinois profitent de la minorité du Talé-lama, s’écria-t-il, pour s’arroger chez nous des droits inouis. »

Le voyage de H’Lassa aux avant-postes des Anglais dans l’Inde pouvant se faire en vingt-cinq jours, MM. Huc et Gabet avaient projeté de quitter le Thibet par la frontière de l’Himalaya ; mais ici encore Ki-chan devait leur opposer une résistance invincible. La Chine ne veut pas que la route de l’Himalaya soit connue, et, sur ce point, le Thibet lui prête volontiers son concours. Cependant le régent eût été heureux d’accorder aux missionnaires, ses amis, le laisser-passer qu’ils désiraient ; mais Ki-chan fut intraitable. Il fallut prendre la route qui conduit le plus directement aux frontières de Chine. Bien que cet itinéraire dût leur faire parcourir une partie du Thibet qu’ils ne connaissaient pas encore, les missionnaires ne purent se défendre d’une certaine terreur en apprenant que les montagnes qu’ils avaient traversées du lac Bleu à H’Lassa passaient pour faciles et sûres à côté de celles qui les attendaient. Ils n’avaient pas, du reste, à s’inquiéter des