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promenade autour de la lamaserie. Quand on rentre, on est censé avoir récité les innombrables prières que l’on vient de porter. Ces divers expédiens sont très licites ; néanmoins certains lamas, loin d’y avoir recours, s’imposent des prières infinies et de très rudes pénitences. Beaucoup de lamas entendent la charité à peu près comme la prière. Par exemple, quand ils veulent donner une preuve de leur amour pour le prochain, particulièrement pour les voyageurs, ils découpent de petits chevaux dans du papier, et, après les avoir portés sur le sommet d’une montagne par un jour de grand vent, ils prient Bouddha de les changer en vrais chevaux.

Outre les lamas retirés dans les lamaseries, il y a des lamas ermites ou anachorètes qui vivent perchés dans des espèces de cages sur le flanc des montagnes. Naturellement ceux-là sont voués à la vie contemplative. On rencontre aussi des lamas voyageurs toujours en quête d’un pèlerinage ; enfin d’autres lamas vivent tranquillement au sein de leurs familles, où, comme tous les autres Tartares, ils font paître les bestiaux. Leur tête rasée, la robe jaune et l’observation du célibat sont les seules choses qui les distinguent des autres bergers. Tous ces lamas réunis forment environ le tiers de la population mâle de la Mongolie et du Thibet : on n’a jamais vu nulle part un clergé aussi nombreux.


III.

Le moment de se remettre en route approchait. Les missionnaires devaient rejoindre la grande caravane thibétaine sur les bords du lac Bleu (Koukou-noor), réservoir d’eau salée qui a plus de cent lieues de circonférence. Avant de quitter Kounboum, ils échangèrent des khatas ou écharpes de félicité avec leurs amis les plus intimes. Le khata est une petite pièce de soie dont la finesse approche de celle de la gaze ; il est orné de franges et deux fois plus long que large. Quand on fait une visite d’étiquette, que l’on veut demander un service, témoigner sa reconnaissance ou donner une preuve de sympathie, on commence par offrir un khata. Après avoir rempli ce devoir de politesse, MM. Huc et Gabet firent des provisions de bouche pour quatre mois. C’est une précaution qu’il faut prendre, si l’on ne veut pas s’exposer à mourir de faim sur la route du Koukou-noor à H’Lassa. Voici les denrées alimentaires dont ils durent se pourvoir : cinq briques de thé, deux ventres de mouton remplis de beurre, deux sacs de farine de froment, huit sacs de tsamba (orge grillée), et un nombre formidable de gousses d’ail. Le tsamba, pétri avec les doigts dans du thé au sel, est le mets de tous les jours ; on mâche la gousse d’ail en traversant certaines montagnes d’où s’exhalent des vapeurs empestées.