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berges échelonnées sur leur route. À Kao-tan-dze, ils purent se procurer un seau d’eau pour 50 sapèques : c’était à très bas prix, car de Kao-tan-dze à la plus proche fontaine il y a soixante lis (six lieues). Ayant appris que ce pays, misérable et repoussant au-delà de toute expression, était un lieu d’exil, ils demandèrent à leur intendant de la table s’il se trouvait des chrétiens parmi ses compagnons d’infortune. Non, leur répondit-il ; rester ici, c’est encore une grâce ; les exilés pour la religion du Seigneur du ciel sont tous envoyés à Ili. Après la peine de mort, la déportation à Ili est le châtiment le plus dur. — La misère n’est pas d’ailleurs le seul fléau qui pèse sur les exilés de Kao-tan-dze. Dès que MM. Huc et Gabet eurent mis pied à terre, on leur dit : Nous avons deux espèces d’auberges, celles où on se bat et celles où on ne se bat pas : dans les premières, on paie quatre fois plus que dans les secondes ; pour quelle espèce optez-vous ? — Les missionnaires, se sentant peu de goût pour la bataille et aimant beaucoup l’économie, allaient se déclarer pour une auberge pacifique, lorsqu’ils eurent l’idée de demander quelques explications. — Vous ne savez donc pas, leur dit-on, qu’ici on est continuellement attaqué par les brigands ? — Si, nous le savons. — Eh bien ! dans les auberges où l’on ne se bat pas, on vous laissera voler sans même faire une observation ; dans celles où l’on se bat, si les brigands se présentent, ils seront reçus à coups de fusil. — L’auberge où l’on se battait eut la préférence, et tout s’y passa fort pacifiquement. Quelques semaines plus tard et après avoir eu encore bien des fortunes diverses, les missionnaires entraient dans la ville de Tang-keou-eul et s’y installaient dans une maison de repos dont le chef était musulman. Quatre mois s’étaient écoulés depuis leur départ ; en se voyant dans une ville où le Chinois disparaissait devant le Thibétain oriental, ils se crurent presque au terme de leur voyage et de leurs fatigues ; il leur restait pourtant à faire connaissance avec les routes qui mènent des frontières du Thibet à H’Lassa.

Tang-keou-eul est une ville très commerçante ; elle sert d’entrepôt aux marchandises du Thibet, de la Chine et de la Mongolie. On rencontre constamment dans ses rues des Thibétains orientaux ou Longues Chevelures, des Chinois, des Tartares de la mer Bleue, des Kolos, peuplade qui vit uniquement de brigandage, des Eleut et des musulmans, dont le nombre est considérable sur ce point de la Tartarie. À son importance commerciale, Tang-keou-eul joint l’avantage d’être un lieu de passage et de repos pour les nombreux pèlerins mongols qui se rendent à la lamaserie de Kounboum, la plus célèbre des lamaseries du Thibet oriental. Les voyageurs français avaient grande envie de visiter Kounboum, dont ils n’étaient séparés que par onze lieues ; mais en même temps ils avaient hâte d’arriver à H’Lassa. L’impossibilité de partir trancha la question ; ils durent se résigner à attendre le retour