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boit et on y joue. Ces établissemens, que l’on dédaigne d’abord, finissent bientôt par être regrettés ; on ne les rencontre, en effet, que sur la frontière de Chine. Dès qu’il a pénétré un peu avant dans la Terre des Herbes, le voyageur est livré à ses seules ressources. Aussi doit-il songer à se munir de provisions pour plusieurs jours, quelquefois même pour plusieurs semaines, dans les postes militaires établis de loin en loin par les Chinois, et qui, grace au génie industriel de ce peuple, sont devenus partout des marchés, et, sur plusieurs points, de véritables villes. Là on ne trouve pas seulement la grossière auberge au kang nauséabond, on peut dîner à la carte, tout comme sur le boulevard des Italiens. Par ce côté au moins, la civilisation chinoise n’aurait rien à apprendre de la nôtre. Qu’on suive par exemple les pieux voyageurs à Tolon-noor, ville tartare où ne résident guère que des Chinois, comme dans toutes les villes de la Mongolie : on voit flotter au-dessus d’une porte un drapeau triangulaire ; c’est l’enseigne d’un restaurant, on entre. De nombreuses petites tables sont distribuées avec ordre et symétrie dans une salle spacieuse : on prend place, et aussitôt un garçon dépose une théière devant vous. En Chine, la théière est de règle ; on vous la sert sans que vous la demandiez. Arrive ensuite l’intendant de la table : c’est, ordinairement un personnage aux manières élégantes et doué d’une prodigieuse volubilité de langue ; à mesure qu’on désigne les plats, il les annonce en chantant au gouverneur de la marmite. On est servi avec une admirable promptitude ; mais, avant de commencer le repas, l’étiquette exige qu’on se lève et qu’on aille inviter à la ronde tous les convives qui sont dans la salle : — Venez, venez tous ensemble, leur crie-t-on en les conviant du geste, venez boire un petit verre de vin et manger un peu de riz. — Merci, merci, répond l’assemblée ; venez plutôt vous asseoir à notre table, c’est nous qui vous invitons. Après cette formule cérémonieuse, on a manifesté son honneur, suivant l’expression locale, et on peut dîner en homme de qualité. Aussitôt qu’on se lève pour partir, l’intendant de la table paraît ; pendant qu’on traverse la salle, il chante de nouveau la carte tout entière et termine en proclamant l’addition d’une voix haute et intelligible. On s’arrête au comptoir et on paie. M. Huc ajoute que les restaurateurs chinois savent très bien pousser à la consommation, en excitant la vanité des convives. Comme dans nos grandes villes, ces restaurans sont fréquentés par les gens de la localité privés des ressources du chez soi ou insensibles à ses charmes, et par les voyageurs qui ne veulent pas dîner à leur hôtel. Les hôtels chinois ressemblent d’ailleurs beaucoup aux nôtres ; mais ils ont des enseignes plus recherchées et toutes dans le genre de celles-ci : Hôtel des Trois-Perfections ou de l’Équité éternelle, Auberge de la Justice ou des Cinq Félicités, etc.

Tolon-noor ne lutterait pas seulement avec Paris par les élégantes