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étaient, dans des conditions excellentes pour entreprendre un voyage au Thibet ; ils avaient des goûts fort simples, une santé assez éprouvée et une volonté assez forte pour ne s’inquiéter à l’avance ni de la glace, ni du soleil, ni de la famine. On a beau cependant être prêt à supporter toutes les fatigues : quand on entreprend un voyage de plusieurs mois à travers des pays incultes, il faut se mettre en frais d’équipage. Les missionnaires avaient dû reconnaître cette nécessité : trois chameaux, un mulet noir de taille rabougrie, un cheval blanc et un chien composaient leur caravane, dont la surveillance, à laquelle ils prenaient eux-mêmes une part des plus actives, était officiellement confiée à Samdadchiemba, jeune lama converti et si grand amateur de la vie nomade, qu’il avait déjà parcouru seul et sans but les déserts de la Tartarie.

En quittant Hé-chuy, les deux missionnaires avaient éprouvé une grande joie ; cependant ils ne se regardèrent comme véritablement partis que lorsqu’ils purent se dépouiller du costume de marchand chinois, sous lequel ils se cachaient depuis si long-temps ; ils proscrivirent la longue queue dont plusieurs années de séjour leur avaient permis de s’enrichir, et procédèrent à un nouveau déguisement. Une grande robe jaune, fermée sur le côté droit et serrée autour du corps par une longue ceinture rouge ; un gilet également rouge, mais à collet violet, et un immense bonnet jaune surmonté d’une pommette écarlate les transformèrent en lamas thibétains revêtus de leur habit séculier ; ils avaient adopté ce costume, non-seulement parce qu’il pouvait mieux que tout autre leur assurer le respect affectueux des habitans du pays qu’ils allaient parcourir, mais aussi parce qu’il est le costume du prêtre. Ces préparatifs terminés, ils se lancèrent seuls et sans guide au milieu d’un monde nouveau, tout entiers à l’espoir de faire retentir la parole de Dieu sur une terre qu’aucun missionnaire n’avait encore pu conquérir à l’Évangile ; ils avaient tant de hâte d’arriver au désert et de mener complètement la vie nomade, qu’ils campèrent dès leur première nuit, bien qu’ils fussent à portée d’une auberge tartaro-chinoise. Ces sortes d’auberges, il est vrai, ne sont pas des plus attrayantes, et la construction en est fort simple : au milieu d’une très vaste enceinte formée par de longues perches entrelacées de broussailles se trouve une maison de terre, haute tout au plus de trois mètres ; une vaste salle, y sert à la fois de cuisine, de réfectoire et de dortoir. Le meuble important, sinon, unique, de cette salle, meuble qui la remplit presque tout entière, est un énorme kang, ou fourneau sur lequel les voyageurs prennent place assis les jambes croisées à la manière des tailleurs, et qui sert en même temps à chauffer trois immenses chaudières toujours remplies d’eau bouillante pour le thé. Le kang n’est pas seulement le lieu où l’on mange et où l’on dort ; d’habitude aussi on y fume, on y