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du siècle, car elle revient à définir le progrès : un mouvement qui rapproche tous les hommes d’un niveau qui monte sans cesse !

Le problème qui pèse comme un cauchemar sur nous ne peut se résoudre sérieusement que de cette manière : accroître la puissance productive du travail de la société. Hélas ! parmi les hommes, il y aura toujours des malheureux, ceux-ci poursuivis par une fatalité inexorable, ceux-là dépouillés par des accidens politiques ou commerciaux ; le progrès lui-même, l’invention d’une machine plus parfaite ou d’un procédé nouveau, ravira à d’autres leur pain. Il y en aura toujours qu’une incorrigible paresse ou les dérèglemens de leur vie enchaîneront à la misère. Il restera, donc toujours des souffrances sur lesquelles la charité publique et la charité privée auront a répandre leur baume ; mais ; par le développement de la puissance productive du travail, le nombre des malheureux ira en diminuant sans cesse, et ce ne seront plus des classes entières qui sembleront vouées à la privation. Les moyens même que chacun aura de soulager les incurables et les victimes que la civilisation aura broyés sous son char seront beaucoup plus étendus : une société riche a plus de ressources pour la charité qu’une société pauvre.

Parlons la langue du pot au feu, c’est de notre sujet : en ce moment, la société française ne réussit pas à se procurer, par le moyen de son travail (que ce soit directement, ou indirectement à l’aide des échanges avec les autres peuples, ce n’est pas ce qui importe ici), en alimens sains, en vêtemens divers, en matières propres au chauffage et à l’éclairage, en meubles, en livres, en toutes les choses enfin qui répondent aux besoins de l’homme civilisé, une quantité qui soit suffisante pour le bien-être de trente-six millions d’hommes. Voilà ce que veulent dire ces mots : la France est pauvre. Cette insuffisance de la production, cette stérilité relative du travail national est-elle un mal absolu, irrémédiable ? Non, car s’il est vrai que l’on ne puisse signaler sur la terre aucun peuple qui soit parfaitement exempt de la lèpre de la misère, on peut du moins en indiquer quelques-uns chez lesquels la quote-part du commun des hommes est assez grande pour qu’on puisse raisonnablement la qualifier de bien-être. Il en est au moins deux, les habitans de la Grande-Bretagne[1] et les Américains des États-unis. L’infériorité de la France en fait de richesse, par rapport à d’autres peuples aujourd’hui, aurait-elle pour origine que nous soyons une nation subalterne par nos qualités ? Non, personne au monde n’oserait le soutenir, et, si quelqu’un le tentait, quatorze siècles d’histoire et le témoignage du genre humain tout entier protesteraient contre l’assertion et imposeraient silence au téméraire. Alors viendrait-elle de

  1. En disant la Grande-Bretagne, j’exclus l’Irlande.