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faut se déshabituer du détestable penchant que nous avons tous à attendre de l’état l’amélioration de notre sort. On a fait de l’état une divinité semblable aux génies des Mille et une Nuits, qui instantanément changeaient la face de toute chose et disposaient d’inépuisables trésors, tandis qu’il n’a aucune ressource qui lui soit propre, et que tout ce qu’il distribue, il le tire de nos bourses, il le prend sur les fruits du travail de la masse des citoyens, qui est pauvre, car, en tant que nation, nous sommes dans une affligeante pauvreté. Le riche est une rare exception, et on ne peut retirer de lui, par l’impôt, qu’une petite fraction des revenus de l’état, à moins de le spolier, ce qui serait nuisible au peuple lui-même, en ce sens que de cette manière on dissiperait le capital qui alimente le travail national et lui donne quelque fécondité au profit de toutes les classes. Il faut donc renoncer aux rêves dont nous avons été bercés, que l’état peut être une providence pour chacun de nous, nous trouver du travail, nous procurer des capitaux, veiller sur chacun de nos pas, assister comme un ange gardien a tout ce que nous faisons, soit comme producteurs, soit comme consommateurs. Ce tuteurs, s’il se mettait à nous accompagner, nous embarrasserait et nous déplairait fort ; car ce serait ce préfet, ce sous-préfet, ce procureur de la république, ce gendarme, que, tous tant qu’ils sont, dans un accès d’insubordination, nous avons pris en haine ou en défiance. Et enfin qu’est-ce que le culte en vertu duquel nous allons demander notre salut à l’état, converti, dans notre imagination, en une idole toute-puissante, sinon la répudiation de la liberté, pour la possession de laquelle notre patrie a fait tant de sacrifices ? Ce n’est pas à l’état, c’est à nous-mêmes qu’il faut que nous nous adressions avant tout. Nous devons être à nous-mêmes notre première providence. Si nous ne pouvions l’être, c’est que nous aurions eu un accès de vanité misérable quand nous cherchâmes à être libres. L’assistance publique a souvent à agir ; mais, si elle devenait envers des individus une habitude de tous les instans, envers quelques classes une loi permanente, au lieu de leur être vraiment utile, elle leur nuirait ; elle leur désapprendrait les vertus qui font la force de l’esprit, la noblesse de l’ame, elle amollirait le nerf de leurs bras, et, dans aucun cas, il ne faut l’ériger en un droit dès qu’il s’agit d’assistance et de bienfaisance, ne prononçons pas le mot de droit ; ainsi qu’on l’a dit dans un des plus beaux discours qui aient été entendus depuis la résolution de février, tenons-nous-en à la formule du devoir. La bienfaisance est un devoir pour le riche, un devoir pour l’état, dans la limite de sa puissance ; mais ce devoir, tout impérieux qu’il est, ne crée pas, pour le pauvre, un droit qu’il puisse revendiquer comme un homme libre réclame son dû. Le sentiment du droit enivre aisément celui qui l’invoque. Du sentiment du devoir, au contraire, naissent les