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souffrances du chômage, on a dénaturé les caisses de secours. On les a rendues plus onéreuses aux ouvriers, parce qu’alors il n’a plus suffi d’avoir en réserve une petite somme proportionnée aux chances de maladie de 3 ou 400 personnes ; il a fallu amasser une sorte de trésor, et, après avoir réuni ainsi de fortes sommes, on leur donnait une destination préjudiciable aux hommes laborieux, qui sont l’immense majorité, et funeste à l’ordre public. C’est de cette manière qu’on a soutenu bien souvent, en Angleterre et en France, des grèves auxquelles le grand nombre était contraint de participer par les menaces d’une minorité audacieuse et sans frein, et qui toujours étaient sans résultat, excepté pour quelques meneurs avides de faire sentir leur domination à tout hasard, et peu amoureux du travail. Quelquefois même les sociétés de secours mutuels se sont changées en instrumens de guerre civile. Il n’est personne qui ne sache l’histoire des mutuellistes et des ferrandiniers de Lyon et de Saint-Étienne. Au commencement, c’étaient des associations de secours mutuels très recommandables ; en 1834, elles formèrent l’armée de la rébellion qui nos métropoles manufacturières du sud-est.

Une société de secours mutuels, pour bien réussir, je veux dire, pour n’imposer que de modiques sacrifices aux sociétaires et remplir leur attente, pour accomplir sa mission d’humanité sans mélange de désordre public, doit être strictement limitée à secourir les malades et à aider leurs familles. Elle doit s’abstenir de donner des retraites ; beaucoup de celles qui l’ont tenté s’y sont ruinées. Elle doit s’interdire de fournir quoi que ce soit en cas de chômage. Si la commission avait ouvert une enquête, elle aurait obtenu de chefs d’industrie de Paris et de la province ; surtout de l’Alsace, des renseignemens très curieux. Je connais, à Paris, une société de secours, instituée dans un établissement qui compte quatre cents ouvriers, et où il suffit d’une cotisation mensuelle de 80 centimes par tête. Il est vrai que, dans cet établissement que dirige un homme éclairé et excellent[1], on est parvenu à vaincre, la répugnance que l’hôpital inspire à la plupart des ouvriers alors le secours, fixé à 1 fr. 50 c. par jour, profite à la famille ; mais il ne faudrait porter le versement qu’à 1 fi. 60 c. par mois ou 19 fr. 20 c. par an, pour que l’indemnité quotidienne fût de 3 fr., ce qui est élevé.

Les statuts des sociétés de secours mutuels seraient combinés d’une manière plus avantageuse aux sociétaires et plus conforme à l’ordre public, si les intéressés consentaient à les soumettre à la sanction du conseil d’état ; à cela ; l’état peut non les contraindre, mais les engager par l’octroi de quelques services et de quelques faveurs. Encore faudrait-il cependant que ces faveurs ou ces services fussent assez considérables

  1. M. Claude Arnoux, ancien élève de l’École Polytechnique.