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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.


Histoire de la civilisation et de l’Opinion publique en France, en Angleterre, etc., par William-Alexandre Mackinnon, membre du parlement anglais[1]. -Dans un temps d’anarchie intellectuelle, il ne saurait être de sujet plus vaste ni plus grave que celui qui fait la matière de ce livre. Pour oser s’attaquer à des problèmes de cette nature, il faut une grande confiance d’esprit jointe à la connaissance approfondie des faits et des systèmes dont l’enchaînement forme l’histoire du monde. C’est assez dire qu’il n’est point surprenant que l’on échoue en les abordant ; il le serait au contraire que l’on pût réussir à pénétrer dans leurs replis obscurs. Une histoire philosophique et complète de la civilisation est une œuvre à peine possible pour le plus haut génie. Il est cependant divers aspects sous lesquels les développemens et les vicissitudes de l’esprit humain pourraient être envisagés avec succès et avec fruit pour l’époque présente. Quels sont les rapports de l’esprit de l’antiquité avec celui des temps modernes ? Ou, si l’on voulait se restreindre, quel est au point de vue social le changement que la révolution française a introduit dans les procédés et dans les allures de l’intelligence ? Voilà le côté par lequel une histoire de la civilisation eût touché directement aux intérêts du jour. La solution de ce problème nous eût peut-être révélé le secret des défaillances et des égaremens de la pensée moderne, de l’anarchie intellectuelle et de la stérilité philosophique à laquelle la société présente semble condamnée. Quoi de plus digne des préoccupations des écrivains et de l’attention de toute l’Europe atteinte ou menacée du même mal !

M. Mackinnon a passé rapidement sur ce contraste des deux grands principes de civilisation qui se sont jusqu’à ce jour partagé le monde. Et cependant bien des faits contemporains pouvaient le mettre sur la voie. Qu’est-ce que cette perpétuelle oscillation de la pensée qui fait le trait principal de l’histoire contemporaine ? Qu’est-ce que cette lutte engagée depuis 39 entre la tradition du passé et les théories ! Pourquoi cette alternative de victoires et de défaites parmi lesquelles le passé n’est pas toujours le vaincu ? Pourquoi enfin les modernes théories, alors même qu’elles ont été victorieuses et se sont vues armées de la plus grande force possible, n’ont-elles réussi à rien fonder que l’on puisse tenir pour durable ? Apparemment parce que l’esprit du passé n’était pas aussi éloigné de la vérité que l’on voudrait nous le faire croire, et parce que l’esprit moderne n’en est point aussi près qu’il le prétend dans son orgueil juvénile. Les deux principes se distinguent, quant à présent, par des résultats tout opposés et qui sont évidemment en faveur du passé. Les principes d’où les sociétés anciennes sont sorties ont produit des croyances fortes, des vertus énergiques ; ils ont donné de la puissance aux gouvernemens et de l’essor aux individus ; ils ont provoqué l’intelligence et l’activité humaines à se déployer sous leurs formes les plus brillantes et les plus grandioses. Les principes de la société moderne ont sans doute jeté aussi un grand éclat dans leur premier élan ; mais

  1. 2 vol, traduits de l’anglais, chez Comon, quai Malaquais, 15.