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qui a eu lieu mardi dernier, le succès de Mme Sontag a été plus décisif encore, surtout dans un air de la Semiramide de Rossini, qu’elle a chanté dans la perfection. Ajoutons aussi que le temps qui semble avoir glissé légèrement sur cette cantatrice charmante ne lui a pas apporté ce que Dieu seul peut donner à ses élus : l’accent du cœur.

L’Allemagne, qui a produit tant de glorieux génies dans la musique instrumentale et de si excellenas artistes pour tous les instrumens, a été beaucoup moins heureuse dans le drame lyrique et dans l’art de chanter, qui s’y rattache d’une manière si directe. Excepté Mozart, qui est un miracle de la Providence, excepté quelques compositeurs de second ordre tels que Winter, qui se sont inspirés de Mozart et de l’école italienne, les opéras allemands ont été conçus donc un système qui ne permet pas à la voix humaine d’y déployer toutes ses magnificences. Aussi les chanteurs nés au-delà du Rhin dont la réputation a pu franchir les limites de la nationalité sont-ils extrêmement rares. La Mara (Schmaeling), qui naquit à Cassel en 1747, et qui est morte en Livonie le 20 janvier 1833, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, a été, avant Mme Sontag, la seule cantatrice allemande qui ait joui d’une réputation européenne. Cette femme aussi extraordinaire par le talent, par les caprices de son caractère que par les vicissitudes de sa bizarre destinée, a fait pendant quarante ans les beaux jours de Berlin, de Vienne, de Venise, de Paris et de Londres, où elle a régné en prima donna assoluta pendant dix ans. Cette capricieuse divinité eut des démêlés avec le grand Frédéric, dont le despotisme éclairé s’appesantissait aussi bien sur les cantatrices que sur les philosophes et les poètes. La Mara fut obligée de se sauver de Berlin comme Voltaire, et faillit être aussi appréhendée au lit par un soldat aux gardes. Les temps sont bien changés. Le petit-fils du grand Frédéric a bien autre chose à faire aujourd’hui qu’à jouer de la flûte et à surveiller les points d’orgue des cantatrices. Si les rois règnent encore dans quelque coin de l’Europe, ce sont bien évidemment les cantatrices qui gouvernent, et la réapparition de Mme Sontag, les beaux succès qu’elle vient d’obtenir tant à Londres qu’à Paris, sont un double témoignage de l’instabilité de la fortune et de la toute-puissance du talent.

Les théâtres lyriques de Paris se traînent bien languissamment depuis quelque temps. L’Opéra n’a rien donné depuis le Prophète qui soit digne de fixer l’attention du public. Le nouveau ballet qui a été représenté ces jours derniers, Stella, est un trop long canevas, sans plan, sans idées et sans le moindre intérêt. M. Saint-Léon, qui en est l’auteur, devrait bien se contenter d’être un danseur remarquable, et laisser à d’autres la conception de ces poèmes chorégraphiques, qui exigent une imagination délicate et des inspirations poétiques dont il ne semble pas richement pourvu. La scène, qui se passe dans le royaume de Naples, a permis à l’administration d’étaler une riche livrée de beaux costumes et quelques décors pittoresques. Un pas de deux au second acte, intitulé la Sicilienne, que M. Saint-Léon et Mme Cerrito dansent avec une puissance et un entrain admirables, forme tout l’intérêt de cet interminable ballet, qui est bien loin de la charmante création de la Filleule des Fées, où la Carlotta était si ravissante et ne sera pas remplacée. La musique, qui est toujours de la composition de M. Pugni, est agréable, dansante et parfois vigoureuse. M. Pugni a mis