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au-delà du Rhin à rendre la musique forte et profonde de Weber, de Beethoven, de Spohr et de tous les nouveaux compositeurs allemands qui avaient rompu tout pacte avec l’impiété étrangère, et donné l’essor au génie de la patrie. Entourée d’hommages, célébrée par tous les beaux-esprits, chantée par les étudians et escortée par les hourras de la presse allemande, Mlle Sontag fut appelée à Berlin, où elle débuta avec un immense succès au théâtre de Koenigstadt. C’est à Berlin, on le sait, que fut représenté, pour la première fois, le Freyschütz, en 1821. C’est à Berlin, ville protestante et rationaliste, le centre d’un mouvement intellectuel et politique qui cherchait à absorber l’activité de l’Allemagne aux dépens de Vienne, ville catholique où régnaient l’esprit de la tradition, la sensualité, la brise et les mélodies faciles de l’Italie ; c’est à Berlin, disons-nous, que la nouvelle école de musique dramatique fondée par Weber, avait trouvé son point d’appui. Mlle Sontag y fut accueillie avec enthousiasme comme une interprète inspirée de la musique nationale. Les philosophes hégéliens la prirent pour sujet de leurs doctes commentaires, et ils saluèrent, dans sa voix limpide et sonore, le subjectif confondu avec l’objectif dans une unité absolue ! Le vieux roi de Prusse la reçut à sa cour avec une bonté paternelle. C’est là que la diplomatie eut occasion d’approcher de Mlle Sontag et de faire brèche au cœur de la muse.

Profitant d’un congé qu’on lui avait accordé, Mlle Sontag vint enfin à Paris, et débuta au Théâtre-Italien, le 15 juin 1826, par le rôle de Rosine du Barbier de Séville. Son succès fut éclatant, surtout dans les variations de Rode, qu’elle introduisit au second acte pendant la leçon de chant. Ce succès se confirma et s’accrut même dans la Donna del Lago et l’Italiana in Algeri ; dont elle fut obligée de transposer plusieurs morceaux écrits pour la voit de contralto. De retour à Berlin, elle y fut reçue avec un redoublement d’intérêt. Elle resta dans cette ville jusqu’à la fin de l’année 1826 ; puis, abandonnant l’Allemagne et l’école qui l’avait élevée au fond de son sanctuaire, elle vint se fixer à Paris. Mlle Sontag débuta par le rôle de Desdemona de l’opéra d’Otello, le 2 janvier 1828. Elle fit partie de cette constellation de virtuoses admirables qui charmèrent à cette époque Paris et Londres, et parmi lesquels brillèrent, au premier rang Mme Pasta, Mme Pisaroni, Mme Malibran et Mlle Sontag. Entre ces deux dernières cantatrices d’un mérite si différent, il se déclara une de ces rivalités fécondes dont Hoffmann nous a donné une peinture si dramatique. Cette rivalité fut poussée si loin entre l’impérieuse Junon et la blonde Vénus, qu’elles ne pouvaient se rencontrer ensemble dans le même salon. Sur la scène, lorsqu’elles chantaient dans le même opéra, que ce fût Don Juan ou bien Semiramide, leur jalousie héroïque se révélait par des points d’orgue assassins et des fusées à la congrève qui incendiaient l’auditoire. Tantôt c’étaient les Troyens qui l’emportaient, et tantôt les Grecs. Le parterre se soulevait et se calmait comme les vagues de la mer sous la pression des divinités de l’Olympe. Un jour enfin, Mme Malibran et Mlle Sontag ayant dû chanter ensemble un duo dans une maison princière, la fusion de ces deux voix si différentes pour le timbre et le caractère de l’expression produisit un si grand effet, que le succès des deux grandes cantatrices opéra leur réconciliation. Depuis ce moment, le calme a régné sul mare infido.

Toutefois, au milieu de ces succès et de ces fêtes de l’art, un point noir s’élevait