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porte au maintien de l’ordre autant d’intérêt que son langage voudrait le faire croire, elle ne pouvait suivre une autre marche. Des prétentions conquérantes, une guerre dans l’Europe orientale, auraient plongé ces contrées dans un chaos complet, qui fût devenu peut-être un foyer inextinguible de révolution. Or, il en est en ce point pour le cabinet russe comme pour tous les autres cabinets de l’Europe, l’intérêt de la conservation et de l’ordre est plus pressant que celui de la conquête. Le tzar a beau se sentir appuyé sur une grande force religieuse et morale ; il comprend de même qu’en favorisant le progrès de l’esprit révolutionnaire chez les autres, il pourrait bien à la fin travailler contre lui-même. L’Europe tout entière doit souhaiter que le tzar persévère dans cette pensée.

Si la Russie prend sincèrement cet honorable parti de ne point susciter de nouveaux périls à l’Autriche et à la Turquie, ces deux états sortiront avec honneur de la crise où ils sont engagés avec toute l’Europe. La Turquie a beaucoup à faire pour consolider l’autorité morale qu’elle a ressaisie depuis quelques années au dedans et au dehors, elle a beaucoup à réformer dans l’ordre social comme dans l’ordre politique ; mais, depuis que Reschid-Pacha est revenu au pouvoir, on ne peut contester qu’il ait signalé son administration par des actes utiles. Les principes qu’il avait autrefois posés à Gulhané reçoivent chaque jour leur application ou leur développement. La tolérance religieuse est pratiquée, et les chrétiens avouent qu’à cet égard ils n’ont plus de griefs légitimes contre les Turcs. Chaque jour, l’administration s’ouvre aux Grecs, aux Bulgares, aux Valaques ou aux Arméniens. Aussi, en dépit des surexcitations que ces peuples ont ressenties sous le coup des événemens de Hongrie, ils sont plus que jamais portés à se rapprocher du sultan. Les fonctions publiques, qui étaient naguère pour les Turcs un instrument de violence, ont été ramenées à leur vrai caractère. Autrefois les pachas étaient de petits souverains, maîtres absolus dans leurs pachaliks ; ils sont aujourd’hui forcés de respecter eux-mêmes les lois qu’ils appliquent ; leur responsabilité est réelle : l’un d’eux, qui avait osé abuser de la bastonnade contre son intendant, vient d’être jugé à Constantinople et condamné à balayer les rues dans la ville natale de sa victime, châtiment qui n’est dépourvu ni de bon sens ni de caractère moral. D’autre part, l’état social des diverses populations de l’empire est aussi l’objet des préoccupations actuelles du grand-vizir. Pendant qu’il se rencontre chez nous des gens pour vouloir ramener la propriété à sa forme originaire, à sa primitive incertitude, le gouvernement turc travaille, au contraire, à l’arracher à ces conditions indécises et flottantes par où elle commence dans l’histoire. Il est en train de promulguer de sages lois pour régulariser et étendre le droit de succession parmi les collatéraux. La Turquie mérite ainsi de plus en plus l’intérêt que l’Europe attache à son intégrité et à son avenir.

En Autriche, la situation est analogue et non moins pressante. La révolution de Vienne et celle de Hongrie ayant tout bouleversé, tout est à reconstruire. Rendons justice au cabinet actuel ; il déploie une grande activité dans l’œuvre qui lui est imposée de réorganiser de fond en comble le vieil empire d’Autriche. Pendant qu’on l’accuse au dehors de rêver le rétablissement du pouvoir absolu, il réforme, dans une pensée dont le libéralisme ne saurait être contesté les codes qui régissent la situation des personnes et des propriétés ; il