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a parfaitement réussi au-delà des Pyrénées ; mais on se rappelle quelles odieuses insinuations avait donné lieu la stérilité supposée du mariage de la reine, et, pour qui connaît la farouche susceptibilité du peuple espagnol en matière d’influence étrangère, il n’est pas douteux que, si le cas prévu par la jalousie britannique s’était réalisé, la succession d’Isabelle II aurait donné lieu à des difficultés sérieuses. Lord Palmerston voyait plus loin qu’on ne le croit, lorsque, il y a deux ans, il arrachait au comte de Montemolin une protestation formelle de libéralisme. Dégagé du principe absolutiste, le jeune prétendant eût pu, à un moment donné, faire une pointe dangereuse sur le terrain du sentiment national. Cette chance suprême lui échappe, et, à l’heure qu’il est, il a probablement dû renoncer aux nouveaux projets d’insurrection qu’oit lui attribuait depuis quelques mois.

De ces bruits, il reste reperdant un fait sérieux et qui impose au gouvernement espagnol une vigilance exceptionnelle.

D’après la rumeur publique, ce n’était plus seulement sur la ligne des Pyrénées que le comte de Montemolin aurait recommencé cette fois ses tentatives ; il n’aurait songé à rien moins qu’à s’emparer de l’île de Cuba. Au premier abord, un pareil plan n’est que risible. Comment supposer en effet que le prétendant fût en mesure d’armer une flottille, lui qui ne put même pas, il y a un an, pourvoir à l’entretien de la petite bande recrutée en Catalogne par Cabrera ? Mais, en y regardant de près, on ne peut s’empêcher d’entrevoir là la main de l’Angleterre. La conquête, ou tout au moins l’émancipation de l’île de Cuba, a été de tout temps la grande préoccupation de cette puissance. C’est en vain qu’elle a essayé, à diverses reprises, tantôt de faire hypothéquer les créances britanniques sur cette riche colonie, tantôt d’en obtenir la cession directe. L’Espagne a constamment repoussé toute proposition de ce genre. Désespérant d’en venir à ses fins par les voies diplomatiques, l’Angleterre a changé de tactique. Sous la régence d’Espartero, qui était, comme on sait, à la merci du cabinet de Londres, un certain M. Turnbull, consul britannique à la Havane, se mit à prêcher ouvertement l’insurrection aux nègres. Averties à temps de ce fait, les cortès en témoignèrent la plus vive irritation, et le gouvernement britannique se résigna à révoquer M. Turnbull de ses fonctions consulaires, mais en le laissant toujours à Cuba avec le titre aussi nouveau que significatif de protecteur des nègres. Devant cette nouvelle provocation, l’indignation des cortès atteignit un tel degré de vivacité, que l’Angleterre, pour sauver son protégé Espartero, céda encore : elle consentit au rappel définitif de M. Turnbull, après avoir toutefois arraché à la faiblesse du gouvernement espagnol un règlement dont la mise en vigueur aurait enlevé aux planteurs toute garantie vis-à-vis des esclaves.

Aujourd’hui que les rapports officiels sont interrompus entre les cabinets de Londres et de Madrid, aujourd’hui que le chef du Foreign-Office est lord Palmerston, c’est-à-dire le représentant le plus fougueux de la politique envahissante de l’Angleterre, serait-il déraisonnable d’admettre que les projets du comte de Montemolin sur Cuba se rattachent à une intrigue britannique ? Qu’on ne l’oublie pas : lord Palmerston s’est fait ouvertement le protecteur du prétendant, et lord Palmerston a un affront personnel à venger. L’Angleterre serait