Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/951

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de quelques autres. Les journaux libre-échangistes célébraient sur tous les tons la victoire qu’avait remportée la cause du free trade, et rappelaient sans cesse à leurs adversaires le défi porté par M. Cobden à M. Disraëli d’engager dans la chambre des communes un débat décisif sur la question théorique des avantages et des inconvéniens du libre-échange. Ce défi avait été accepté par M. Disraëli et M. H. Drummond ; il fallait que les chefs des tories tinssent cet engagement, afin que le protectionisme demeurât enseveli dans une dernière et honteuse défaite.

M. Disraëli pensait à transporter la lutte sur un tout autre terrain. Il faisait bonne contenance, il annonçait comme prochaine une motion sur les résultats du libre-échange ; mais il était trop clairvoyant pour ne pas comprendre que renouveler une pareille lutte, ce serait renouveler les échecs de son parti. Chaque fois que la question se trouverait posée entre la protection et le libre-échange, whigs, peelites et radicaux voteraient ensemble, et ainsi se recomposerait toujours la formidable majorité qui a fait passer l’adresse. M. Disraëli ne pouvait espérer de détacher les radicaux du ministère ; le débat sur la conduite du gouverneur de Ceylan lui avait montré avec quel soin les radicaux évitaient de voter avec les tories ; on pouvait attendre d’eux tout au plus un vote isolé, mais jamais un concours, l’affinité naturelle des opinions devant les faire pencher toujours du côté du ministère.

M. Disraëli était donc ramené à ne comprendre dans ses calculs que les amis de sir Robert Peel, fraction détachée, il y a quatre ans, du grand parti tory, et qu’il fallait essayer de faire rentrer dans ses rangs. Les débats de la dernière session avaient prouvé que l’ascendant de sir Robert Peel sur ses amis n’était plus le même. Si la retraite pouvait convenir à sir Robert Peel, satisfait d’exercer une sorte de protectorat sur le cabinet whig, il n’en était pas ainsi de quelques-uns de ses anciens collègues, qui, dans la force de l’âge et du talent, devaient difficilement se résigner à un perpétuel effacement. Aussi vit-on l’année dernière le comte de Lincoln, M. Gladstone et quelques autres des anciens collègues de sir Robert Peel se mettre en hostilité ouverte contre le cabinet ; et, tout en se distinguant des tories, voter pour lui quand son existence était mise en péril, puis le lendemain l’attaquer sur la politique extérieure ou sur l’administration coloniale, au risque de le mettre en minorité. Leurs efforts n’avaient pas été secondés en 1849 par les tories, qui ne se souciaient pas d’aider des amis de sir Robert Peel à forcer l’entrée du ministère. Le comte de Lincoln s’est décidé cette année à abandonner la partie et à voyager ; les autres demeuraient dans la chambre des communes, flottant entre le ministérialisme et l’opposition. Il fallait leur offrir une occasion de se prononcer contre le ministère, sans renier l’appui qu’ils ont donné à la politique libre-échangiste ; il fallait donc mettre à l’écart la question du libre-échange et de la protection. Rien ne convenait mieux à M. Disraëli qui ne croit guère à la possibilité du rétablissement des lois sur les céréales, et qui ne soutient cette thèse que par une nécessité de parti. Il a donc présenté une motion pour une meilleure organisation des poor-rates ou contributions pour les pauvres.

L’annonce de cette motion a excité d’universelles risées dans la presse libre-échangiste ; le Chronicle et le Daily-News n’ont pas tari sur ce sujet. M. Disraëli