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entrepreneurs en rendant toute concurrence impossible ; il est bien évident, disons-nous, que le système ne s’arrêterait point là, que les associations ouvrières s’étendraient à l’industrie privée comme à l’industrie payée sur les caisses publiques, qu’elles s’étendraient par conséquent aux travaux de l’agriculture, à ceux des manufactures et des usines, tout aussi bien qu’à ceux des canaux et des chemins de fer, — qu’il en résulterait dès-lors une modification profonde dans les conditions respectives du capital et du travail, et par suite un bouleversement général dans les habitudes et dans les lois constitutives de la société.

Si encore l’expérience n’avait rien dit là-dessus, si l’on pouvait croire qu’un pareil système, au prix d’immenses sacrifices et en ne tenant aucun compte de ces situations intermédiaires, que l’équité commande et protégé ; pût faire le bonheur de ceux dans l’intérêt desquels on réclame son application ! mais non, l’expérience a déjà parlé. Les faits sont là qui prouvent, avec la dernière évidence, que le système est détestable, et qu’il ne convient pas plus aux intérêts des ouvriers qu’à ceux de l’état.

Un crédit de 3 millions a été voté en juillet 1848 par l’assemblée constituante, pour être réparti, sous forme de prêt, entre les associations d’ouvriers qui se présenteraient pour exécuter certains travaux. Quel a été l’emploi de ce crédit et quels ont été les résultats de la mesure ? Une commission de l’assemblée nationale a fait dernièrement une sorte d’enquête à cet égard. Elle nous apprend d’abord que le crédit de 3 millions n’est pas encore épuisé, parce qu’il ne s’est pas trouvé un assez grand nombre d’associations présentant des garanties suffisantes pour être admises à partager la subvention du trésor. Ce ne sont pas les ouvriers qui songent à s’associer et à se soustraire à la tyrannie du capital et des entrepreneurs, ce sont les prétendus amis politiques des ouvriers qui veulent les associer malgré eux. Aussi une cinquantaine d’associations seulement, dont trente à Paris et vingt dans les départemens, ont pris part au crédit, et comment se sont formées ces associations ? Est-ce la fraternité qui les a fait naître ? Est ce un sentiment d’indépendance ? Est-ce le besoin d’expérimenter en commun une nouvelle théorie sociale ? Mon Dieu ! non. La plupart sont nées du contre-coup des événemens politiques. C’est la crise industrielle qui les a formées, c’est la nécessité de gagner du pain. Des ouvriers sans travail sont venus chercher un refuge dans ces ateliers temporaires ; parce qu’ils ne pouvaient en trouver ailleurs. Un grand nombre y ont trouvé la misère. Sur les trente associations de Paris, il y en a onze qui paraissent avoir fait des bénéfices, il y en a seize qui sont en perte ; les trois autres ont déjà fait faillite. La moyenne des salaires a été inférieure à celle des ateliers libres. Là oui d’anciens patrons se sont associés avec les ouvriers, l’association a quelquefois réussi ; mais là où les ouvriers se sont associés entre eux, la discorde, l’indiscipline, les démissions fréquentes, absence de toute direction ; ont rendu le succès impossible. Et qu’on ne croie pas que ces associations périssent aujourd’hui parce qu’elles on été abandonnées à elles-mêmes. L’état, loin de les abandonner, n’a pas cessé d’étendre sur elles une main tutélaire. Après les avoir secourus de son argent, il leur a prêté ses ingénieurs, ses bureaux, sa comptabilité, il est intervenu dans leur gestion pour les éclairer, pour apaiser