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Notre première remarque est qu’aujourd’hui moins que jamais la force de la société réside dans ce qu’on appelait autrefois le pays légal. Ç’a été une des erreurs de la monarchie de juillet, et cette erreur lui a été fatale, de croire que les rapports entre les chambres et le ministère étaient la chose importante et décisive, qu’un ministère qui avait la majorité était tout-puissant dans le pays, et qu’en dehors des chambres, rien ne pouvait être mis en péril. Notre pays malheureusement n’a jamais eu une vie assez régulière et assez légale pour que tout dépendit des chambres et que le jeu de ses destinées fût renfermé dans le cercle des pouvoirs légaux. Le dehors a toujours eu une grande influence sur le dedans. Rien n’est changé depuis deux ans, ou plutôt tout est empiré. La révolution de février a fait violemment sortir le gouvernement du cercle des pouvoirs légaux. Ne croyez pas qu’il y soit encore rentré, sinon en apparence. Ce qui se passe dans l’assemblée entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, ce n’est pas là ce qui gouverne, c’est-à-dire ce qui maintient l’ordre. Il y a plus de gouvernement dans une revue et dans une patrouille que dans les délibérations de l’assemblée ; nous en sommes tristement convaincus : seulement l’assemblée a droit, dans la limite de ses attributions, de gouverner ceux qui gouvernent, c’est-à-dire de faire les lois qu’ils devront exécuter.

Que résulte-t-il de ce que nous venons de dire ? Il en résulte d’abord que les délibérations de l’assemblée ont moins d’effet et moins d’importance que les lois qu’elle fait, tandis qu’autrefois, sous la monarchie constitutionnelle, c’était presque le contraire ; les délibérations des chambres avaient plus d’importance que les lois même c’était la discussion qui gouvernait. Cela étant, et les délibérations ayant perdu un peu de leur prestige de gouvernement, l’attitude des ministres dans l’assemblée devient une question moins importante qu’elle ne l’était ; le choix aussi des ministres devient moins important. Nous ne concevrions donc pas que cette question de personnes pût jamais devenir un sujet de querelles entre le président et l’assemblée.

Nous arrivons ici à la remarque que nous voulons faire sur la condition nouvelle que la constitution de 1848 a faite au pouvoir ministériel.

Selon nous, le pouvoir ministériel est celui qui a le plus perdu à la révolution de février et à l’établissement de la présidence responsable. Le pouvoir ministériel, sous la monarchie constitutionnelle était sans en avoir l’air, une sorte de pouvoir indépendant. Il procédait à la fois du roi et des chambres, du roi par voie de nomination ; des chambres par voie d’influence. Il servait d’intermédiaire entre le roi et les chambres, représentant le pouvoir exécutif du roi devant les chambres et répondant de l’exercice de ce pouvoir, représentant le sentiment de la majorité des chambres devant le roi et faisant prévaloir ce sentiment dans les conseils de la couronne. Le pouvoir des ministres tenait à deux principes : d’une part à l’irresponsabilité de la royauté, de l’autre au droit qu’avait le roi de dissoudre la chambre des députés. Ces deux principes ont été supprimés par la constitution, et cette suppression a anéanti le pouvoir ministériel. Le président n’a plus besoin de ses ministres pour répondre devant l’assemblée ; il est lui-même responsable. L’assemblée n’a plus besoin d’avoir ses chefs de la majorité dans le gouvernement, afin d’être sûre de n’être point dissoute contre son gré, puisque la constitution l’a faite indissoluble. Nous aurions défié la royauté constitutionnelle de vivre deux jours sans avoir un ministère