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immortelle. On a trouvé cet euphémisme pour exprimer l’assassinat. L’inquisition avait aussi la prétention de faire le salut de ceux qu’elle brûlait. Elle commençait par les convertir avec la torture, et, une fois convertis, elle se hâtait de les béatifier par le bûcher. C’est ainsi qu’à Rome l’égoïsme vaniteux d’un tribun devient une idole dont les sacristains viennent d’un air dévot justifier ou demander des sacrifices humains ; et quand pour échapper à cet horrible fanatisme, vous venez de Rome à Paris, et que M. Chenu vous fait entrer dans les conseils des gouvernans de février, que trouvons-nous ? Ce n’est plus la dictature du poignard, mais la dictature du petit verre et de la queue de billard. Là-bas, le gouvernement sortait d’un conciliabule de fanatiques ; ici, il sort d’un estaminet. Là-bas il sentait l’odeur du sang, ici l’odeur du vin et de l’eau-de-vie. Ravaillac, Poltrot, Louvel, Alibaud, et vous, qui que vous soyez, meurtriers inconnus de M. Rossi, n’ai-je donc à choisir pour maîtres qu’entre vous et le don Juan de cabaret que je trouve dans le livre de M. Chenu ? Et quel choix faire, quand, dans le pêle-mêle du parti démocratique et social, les Ravaillac de club coudoient les Gargantua de carrefour, et que le fanatisme et la débauche s’y donnent sans cesse des poignées de mains, si bien que les viveurs ne nous affranchiraient pas des tueurs ?

L’apologie du meurtre de M. Rossi, les Conspirateurs de M. Chenu, peignent le passé ; le procès-verbal de la séance électorale des délégués socialistes montre l’avenir qui nous attend, si le parti l’emporte. Si nous devons en effet en croire ce procès-verbal, il n’y a plus dans le parti démocratique et social de nuance intermédiaire ; tout est socialiste. Le parti républicain a disparu, ou plutôt, ce qui est pire, il s’est effacé derrière ses adversaires du mois de juin 1848.

Nous ne connaissons pas dans l’histoire de plus triste déconvenue que celle du parti républicain depuis deux ans. Il a fait la république ; mais, comme la république n’avait pas de raison d’être, il a fallu qu’elle en cherchât une hors d’elle-même. Les socialistes alors sont venus à elle et lui ont dit qu’ils allaient lui donner ce qui lui manquait, c’est-à-dire un principe et une cause. Dès ce moment aussi, le parti républicain s’est trouvé privé de vie et d’avenir qui lui soient propres. Il est resté avec un nom pour unique symbole, et avec un nom dont il ne savait que faire. Ce manque de raison d’être a fait tous les malheurs du parti républicain ; mais ce qu’il y avait de difficile dans la situation du parti républicain pouvait au moins être corrigé par la fermeté du caractère et par la persévérance dans la conduite. Le parti républicain était devenu une minorité dans la minorité elle-même : c’est un triste rôle, nous le reconnaissons ; mais il peut encore s’honorer par la constance. Nous pourrions même citer quelques personnes, dans le parti républicain, qui portent noblement ce rôle de paria qui a si promptement remplacé le rôle de dictateur ; mais ce ne sont plus là que des conduites individuelles. Le parti a pris une autre allure. Il a d’abord espéré se réconcilies à son propre profit avec le parti socialiste, il a cru que les transportés de juin voteraient avec les transporteurs ; mais, comme les transports ont refusé énergiquement d’aller trouver leurs vainqueurs, ce sont les vainqueurs qui sont venus trouver les vaincus. Ils ont passé du côté des barricades, et après avoir espéré obtenir les votes du parti socialiste, après avoir espéré recommencer ce que le parti socialiste appelle le grand escamotage de février,