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unique ou leur principale occupation. On a créé, pour les désigner, sept ou huit dénominations différentes, et qui toutes équivalent aux expressions de coureurs de places, courtiers ou spéculateurs politiques.

L’influence considérable que les prétentions ou les rivalités individuelles exercent sur les combinaisons et la destinée des partis aux États-Unis ne contribue pas peu à faire de la politique américaine une sorte d’énigme pour les Européens. Tout le monde sait ce que représentent en Angleterre les whigs et les tories, en Prusse les absolutistes, les constitutionnels et les radicaux, en France les trois fractions des conservateurs et les socialistes. Tout le monde sait en quoi ces partis diffèrent les uns des autres, ce qu’ils veulent, et surtout ce qu’ils ne veulent pas, et il est toujours facile à un homme un peu éclairé de conjecturer et de s’expliquer les motifs qui, dans une circonstance donnée, font tenir à un parti telle ou telle conduite. Au contraire, l’Européen qui veut suivre les variations de la politique aux États-Unis a besoin d’un véritable apprentissage avant de pouvoir se rendre compte de ce qui s’y passe. Non-seulement les partis s’y désignent par des dénominations en quelque sorte de fantaisie et sans signification précise, mais ces désignations se multiplient à l’infini, et les mots de whigs, — locofocos, old-hunkers, barnburners, natifs américains, free soilers, abolitionistes, ressemblent plutôt à des appellations de coteries qu’à des noms de partis sérieux. Qu’est-ce donc, lorsque, poussant plus loin l’investigation, on cherche quels sont les doctrines spéciales et le programme de gouvernement de chacun de ces partis, et qu’on ne trouve entre eux nulle différence réelle ; lorsqu’on ne peut découvrir aucune raison un peu plausible qui paraisse de nature à faire désirer même par le peuple américain, et à plus forte raison par les étrangers, le triomphe d’un parti plutôt que celui d’un autre ? Est-il surprenant que le public européen, complètement privé de renseignemens, ne puisse comprendre les oscillations de la politique américaine, et que, voyant sans cesse le pouvoir passer d’un parti à l’autre, il soit conduit à expliquer d’une manière erronée ces déplacemens de la faveur publique, et ne soupçonne pas tout ce qu’il y a de factice dans les évolutions d’un grand peuple et dans les jugemens du suffrage universel ?

C’est dans ce dédale de la politique américaine que nous voudrions essayer de jeter quelque lumière. Quelle est l’origine des partis qui divisent aujourd’hui les États-Unis ? Par quelles transformations successives ces partis ont-ils passé ? Déjà une fois, à propos de l’annexion du Texas, ces questions ont pu être posées et traitées dans cette Revue[1]. Aujourd’hui, il y a lieu de les reprendre en les rattachant à la

  1. Voyez dans la livraison du 15 juillet 1844, le Texas et les États-Unis.