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où nous vivons, par dissiper ces fanatismes vulgaires qui nous dévorent, par relever nos esprits flétris, rendre quelque noblesse à nos instincts, et raviver dans les cœurs l’intime notion de la vérité, du respect, de la supériorité morale. Il faudrait que le pays se sentît un peu vivre sous la sauvegarde des vérités sociales restaurées ; des principes de la civilisation de nouveau confirmés, en quelque sorte, par nos malheurs. Et ce n’est point seulement aux politiques que je m’adresse, c’est aux écrivains eux-mêmes. Les épreuves doivent avoir leur vertu pour les esprits comme pour les coeurs. Les humiliations de l’intelligence contemporaine n’ont point de sens, ou elles veulent dire que les écrivains aussi doivent puiser en eux la force de résolutions nouvelles. Il faut qu’ils épurent cette vie littéraire des élémens malsains qui s’y sont glissés, en rendant au travail son caractère et son prix, en fécondant leur inspiration par l’étude, en se retrempant dans les sévères douceurs de la discipline intellectuelle, en nourrissant l’amour de ces qualités rares qui font la puissance de l’art, en retrouvant le sentiment de la distinction et de la hiérarchie dans les lettres. Il faut aussi qu’il s’éveille une critique vigilante et fidèle, disposée à signaler chaque, jour et à chaque heure les révoltes brutales, les défections et les retours heureux. J’en appelle à cet esprit délicat et sûr, trop désintéressé peut-être dans la certitude où il est d’avoir conservé ce que tant d’autres ont perdu, et dont la clairvoyance révélait autrefois l’approche des barbares en littérature.

C’est à tout ce qu’il y a de jeune en France aujourd’hui à songer que tout ce qui se tente, se prépare ou s’accomplit, politiquement, moralement et littérairement, c’est son avenir ; c’est à tout ce qu’il y a d’ames fières et de raisons viriles à briser ce réseau d’influences désastreuses qui nous enveloppe, à rejeter l’injure de ces odieuses superstitions que l’esprit de sophisme met en honneur, et à se hâter de faire un choix. La démocratie est la loi du XIXe siècle ! soit ; mais, comme il ne s’est révélé jusqu’ici, dans toutes les voies de l’activité sociale, qu’une démocratie prenant pour symbole le niveau passé sur les facultés humaines, soulevant sur son passage un souffle destructeur de toutes les distinctions et de toutes les supériorités morales, et travaillant à créer une égalité dégradante dans l’abaissement de l’intelligence littéraire comme de l’intelligence politique, il faut bien qu’il existe une autre manière d’entendre la démocratie, qui puisse, en faire le règne des émulations généreuses du génie et de la vertu ; ou ce ne serait qu’un système indigne de trouver place dans l’ame d’un honnête homme et dans l’esprit d’un penseur.


CHARLES DE MAZADE.