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raffiné ou brutal aboutissant au règne de l’esprit d’industrie. Supprimez les mobiles plus purs, — le respect de la pensée, la fidélité à la conscience, la notion du but élevé de l’art ; — à mesure qu’ils déclineront, ce triste et ardent mobile du gain, qui est le piége des talens mal affermis dans leur foi et l’irrésistible appât de la médiocrité envieuse et cupide, apparaîtra dans sa puissance nouvelle comme un des plus actifs dissolvans du principe littéraire. La spéculation intéressée se mêlera à l’imagination dans ses élans, se donnant à elle pour mesure, la pliant aux plus fougueux de ses caprices. Vous avez vu le mercantilisme littéraire dans ses beaux jours, écrivant sa glorieuse histoire, faisant la confidence au public des mystères de la fabrication, paraissant au prétoire, où, par malheur, nul Aristophane n’était caché pour écouter et immortaliser cette bouffonnerie. Vous avez vu de plus récens et de plus tristes exemples encore, — l’auteur des Méditations lui-même ne sachant point se préserver d’une telle atteinte, envoyant à domicile ses demandes de souscriptions, et s’annonçant, lui aussi, comme prêt à courir la fortune des romans en seize volumes. Qu’est devenu l’art, livré à cette autre influence, sans force pour lutter contre cet ensemble de causes avilissantes ? C’est devenu une industrie dont on a subsisté, qu’on a exploitée ; perfectionnée, qui a pu donner à un homme une certaine surface commerciale, ainsi que le disait autrefois l’auteur de la Comédie humaine. Confondu, par une invincible assimilation, dans la foule des métiers vulgaires, l’art a participé de leurs conditions, a contracté leurs préoccupations et leurs mœurs, et a mis sa vie dans les mêmes moyens : — combinaisons économiques, mutualités besoigneuses, agrégations factices, organisation d’une sorte d’alimentation intellectuelle, d’une sorte d’exploitation réglée des caprices publics ! Que sont aujourd’hui les Mystères du Peuple, si ce n’est une spéculation, audacieuse et habilement agencée, sur une fureur populaire ? L’esprit de démocratie, dans ses aberrations les plus actuelles, a déteint plus qu’on ne pense sur ces mœurs littéraires. L’écrivain, lui aussi, a voulu un jour s’appeler un travailleur, et il s’est propagé dans le monde idéal de la pensée cette idée matérialiste d’une espèce de « droit au travail » littéraire analogue au droit à la vie politique ; et au « droit au travail » industriel ; revendiqué par tout ce qui s’élève de vocations flottantes, de velléités orgueilleuses et de suffisances vulgaires. Que dis-je ? l’association même n’a-t-elle point eu ses prophéties de fantaisie, qui annonçaient, dans un langage lyrique, les merveilles nouvelles près d’éclore de cette confusion, et rêvaient déjà des œuvres gigantesques, des poèmes immenses comme les épopées indiennes, enfantés en commun par des légions de rapsodes enrôlés sous une raison sociale ? Crevez l’hyperbole, vous trouverez les associations avouées ou inavouées, publiques ou anonymes de M. Dumas. Quand