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est plus nouveau peut-être et plus frappant, c’est que cet hébétement cynique se transforme en idéal, c’est que les habitudes de l’auteur des Contemporaines s’étendent et se généralisent, et que ses inventions deviennent un type obsédant les imaginations, se reflétant dans cent œuvres diverses ; c’est que, en un mot, au fond de notre temps, vous retrouviez, non comme une exception, mais comme une fatalité de nos entraînemens, cette double altération du sens moral et du goût dans les lettres. — M. Hugo, de ce ton d’ironie légère où il est passé maître décidément après Voltaire, dressait ce qu’il appelait « l’état de services » de l’esprit clérical : ne pourrait-on pas aussi dresser « l’état de services » de cet esprit littéraire qui remplit notre époque de l’éclat de ses caprices ? Cet esprit n’a point créé, sans doute, une situation morale d’où il est né, après tout, il en a fécondé les germes, il l’a aggravée et y a ajouté ses propres vices. Voyez-le se déployer dans notre temps sous toutes ses formes, — sous la forme de ces philosophies puériles et creuses trempées dans les vapeurs d’un lyrisme bâtard, sous la forme de ces falsifications passionnées de l’histoire, sous ces formes plus essentiellement littéraires, combinées de manière à vous séduire, à vous irriter, à vous vaincre en détail, à se glisser dans votre intérieur, dans votre foyer, à votre chevet même ! Sous toutes ces formes, il a altéré les notions sacrées par le cynisme de ses peintures et de ses sophismes ; il a jeté dans les ames la semence de ce scepticisme qui ne distingue plus même entre le vrai et le faux, entre ce qui est beau et ce qui repousse dans une œuvre littéraire, qui se partage indifféremment entre les voluptés âcres, les sensations étranges et l’admiration de la vulgarité ; il a énervé le goût général, efféminé les intelligences, saturé les esprits de chimères : — sorte d’opium versé aux imaginations, qui laisse l’engourdissement au sortir d’un sommeil enflammé ! Un éloquent anathème était, dans ces derniers temps, jeté avec amertume à cette démagogie politique dont le crime est de faire reculer la liberté et de faire douter les peuples de ses bienfaits. La même haine vigoureuse n’est-elle point due à cette démagogie littéraire, qui crée à l’esprit des jouissances avilies et des goûts suspects, abaisse aux yeux des hommes le prix et la signification de la pensée, livre le monde aux rêves maladifs des intelligences épuisées ; et contribue, elle aussi, à faire naître cette situation extrême que dépeignait récemment un écrivain étranger, combattant la réduction des armées ? « Ce sont les armes aujourd’hui, disait-il, qui mènent à la civilisation, ce sont les idées qui mènent à la barbarie ! »

Et, comme tous les phénomènes se tiennent dans une époque, il ne faut point être étonné d’avoir vu une autre tendance, corrélative de ce déclin moral, envahir audacieusement les mœurs littéraires et y entretenir mille caractères hideux ; — c’est le développement d’un matérialisme