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Mystère du Peuple appelait cela « la plus inébranlable conviction. » Ah ! si le peuple, en effet - non celui des manifestations, des processions patriotiques et des clubs souterrains, mais ce pur et vrai peuple qu’on caresse, qu’on entoure, qu’on sollicite pour en obtenir, qui la popularité, qui des emplois, qui des souscriptions ; — si ce peuple, dis-je éclairé sur vos variations et vos mobiles, pouvait parler dans la liberté, dans la franchise de sa conscience et de son bon sens, comme il vous jetterait d’un accent fier et résolu ce mot sorti d’entre vos rangs : A bas les masques ! Et comme il vous dirait aussi : Vous êtes des écrivains, et vous savez sans doute ce que c’est qu’écrire, ce que c’est que votre art dont je sens la grandeur sans en pénétrer les lois. Ce que je vous demande, ce n’est point de trahir et d’abaisser cet art, de faire de lui le complice de mes faiblesses et de mes passions, comme les marchands de liqueurs fortes spéculent sur les premiers éblouissemens de mon ivresse ce n’est point de vous faire un esprit et un langage avilis : ce que je vous demande, c’est de me respecter un peu plus et de m’adorer moins ; c’est de me procurer quelques connaissances saines, de m’offrir des images qui me rendent meilleur en me conduisant à l’élévation de l’intelligence, à la paix du cœur au sentiment de la justice ! Dans vos livres, destinés, comme vous dites, « à mes ateliers, à mes fabriques, à mes chantiers, » je ne vois que la suspicion jetée sur Dieu et les hommes, je ne vois, que la haine suer à chaque page. J’ai l’instinct du mépris secret que vous avez de moi en voyant les travestissemens que vous prenez pour poursuivre vos bonnes fortunes auprès de ma simplicité, surprise. »

La corruption du goût, dont les Mystères du Peuple sont le, plus brutal témoignage, n’est point sans doute un phénomène inconnu et surprenant dans la tradition littéraire ; elle a su revêtir plus d’un masque et trouver plus d’une issue. Le XVIIe siècle a eu ses corrupteurs, qui atteignirent même au succès, mais n’empêchèrent pas le Cid, Phèdre ou le Misanthrope ; le XVIIIe siècle en a compté un plus grand nombre encore dans les hasards de sa vie audacieuse. Qu’un esprit de la trempe de Rétif de la Bretonne envahisse le domaine de l’imagination, promène une inspiration malsaine dans les régions honteuses, et se crée une langue digne de cette inspiration ; que ce génie des lieux suspects, réduit au cynisme par un sentiment superbe de son mérite, ainsi qu’il l’avoue lui-même, élève au niveau de l’histoire l’odyssée grotesque de ses aventures, et laisse torcher de ces paroles qui pourraient être inscrites au frontispice de plus d’une œuvre contemporaine : « Lecteur, je vous livre mon moral pour subsister quelques jours, comme l’Anglais condamné vend son corps ; » que cette intelligence naïvement dépravée ait, elle aussi, son ambition réformatrice, et promulgue ses plans de réorganisation sociale, — c’est une misère qui n’est point nouvelle. Ce qui