Ceux qui sont aussi les Francs, ce sont « les ducs de l’hypothèque, les marquis de l’usure, les comtes de l’agio, » que M. Sue n’oublie pas dans ses peintures. Les fils des Gaulois, ce sont les opprimés, les serfs, les prolétaires, qui portent le poids de toutes les exactions et gardent l’immortelle rancune de la spoliation franque ; ce sont tous les génies, les vertus et les héroïsmes auxquels M. Sue donne pour théâtres les clubs, les barricades et les sociétés secrètes. C’est Marik Lebrenn, le héros de la « réconciliation de la bourgeoisie et du peuple, » le marchand qui prend pour enseigne : A l’épée de Brennus ! qui a une de la toile le jour, préside le soir les sections des sociétés secrètes, et a des momens de lyrisme sur l’organisation du travail, la démocratisation du capital, l’immoralité de la concurrence et la tyrannie des « hauts barons du coffre-fort. » C’est George Duchêne, le sous-officier retiré et méconnu, soldat des conspirations occultes encore, type de vertu et de stoïcisme populaire, dont la fiancée a été jetée par le chômage à la prostitution, et qui fait un cours d’histoire prolétaire sur les rois, les grands, et leur allié le clergé, sur cette coalition éternelle cimentée par la haine du peuple, des Gaulois. J’oubliais un personnage, c’est cette « bonne vieille petite mère l’insurrection, » ainsi que l’appelle M. Sue. Comment l’oublier ? c’est la moralité qui plane sur l’œuvre ; elle est au frontispice, elle se dégage de toutes les lignes, elle suinte à travers la trame grossière de cette invention repoussante : mélange hideux de cynisme, de venin, de perfidie, d’ignorance calculée et de corruption systématique ! Et quel est l’écrivain qui remplit ses pages de ces falsifications de la vérité, de la moralité humaine, de ces appels venimeux adressés à tour ce qui fermente de rancunes obscures, de haines furieuses, d’instincts inassouvis, et qui vient aujourd’hui, sous nos yeux ; se faire l’un des héros du socialisme ? Ayez un peu de mémoire ! C’est celui qui, lorsque le vent soufflait ailleurs, se faisait un autre bagage pour arriver au succès. — C’est l’écrivain de la Vigie de Koat-Ven qui voyait dans la chute de « l’antique croyance monarchique et religieuse » et dans la disparition des inégalités sociales la source de tous nos malheurs, qui professait un assez aristocratique dédain pour le « philosophisme » et « le parti libéral et progressif, » pour les petits bourgeois besoigneux, pour les rogneurs de budget et pour le paradoxe « de l’égalité et de la souveraineté, » en vertu duquel tous peuvent prétendre à tout. C’est le démocrate assez dissimulé, on en conviendra, qui écrivait ces propres paroles : « Ceux qui méritent l’exécration…, ce ne sont pas ceux qui se battent.., mais ces habiles qui, pour parvenir au pouvoir et se le partager, ont dit un jour au peuple : Tu es souverain !… Ce sont les fous et les méchans qui, avec quelques mots vides et retentissans, le progrès, les lumières et la régénération, ont jeté en France et en Europe les germes de la plus épouvantable anarchie ! » et l’auteur des
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