sur ses drames, qu’il dispose d’une vérité historique, d’une vérité sociale qui consiste à mettre en opposition l’héroïsme et le génie des bouffons et des laquais et la dégradation des royautés et des noblesses, à faire triompher la vertu des courtisanes des vices des honnêtes femmes ? L’antithèse s’use pourtant ; on la siffle au théâtre, et il faut bien la rajeunir : de là cette impatience fébrile à se jeter sur cette source immense et douloureuse d’antithèses, la misère ! de là ces déclamations symétriques où vous voyez apparaître l’esprit clérical et l’esprit de progrès personnifiés et vivans comme des héros de mélodrame. Il y a pour ce faux esprit littéraire un besoin inhérent à sa nature même : c’est le besoin de paraître, de se draper dans ses métaphores, d’assembler les passans ; de tenter sans cesse la popularité et de primer sur tout. Il est donc bien difficile de rester à son poste, le simple et fidèle soldat du bon sens, de la vérité, de la justice sociale ; il y a donc des perspectives bien enivrantes dans le voisinage des armées qui n’ont point de chefs ! Olympio se lassait de n’être que Shakspeare ou Molière, il veut être Mirabeau, à moins que les lauriers de M. de Lamartine ne l’empêchent de dormir, et il s’essouffle à poursuivre l’éloquence des tribuns ; il médite ses sarcasmes il discipline se phrases comme des soldats peints en rouge sur un damier, il calcule ses saillies, il allume à froid ses colères, et, pour prix, il a la chance de voir ses discours propagés avec les almanachs démocratiques, les chansons de M. Nadaud et la prose de M. Joigneaux. N’y pourrait-on pas joindre aussi Lucrèce Borgia et Angelo, pour édifier la moralité populaire ? Les ambitions d’Olympio, au reste, lui réussissent si bien et fécondent si heureusement son génie, qu’il en arrive, de succès en succès, à ramasser, dans ce qu’on a justement et spirituellement nommé « des mélodrames de tribune, » les petites incrédulités du libéralisme de 1820. Olympio est converti à Voltaire, qu’il appelait autrefois un singe de génie, et il a aujourd’hui, — qui le croirait ? — les hardiesses du Dictionnaire philosophique ! — S’il faut parler sérieusement, Voltaire du moins, quand il lançait ses injustices, quand il déployait cette verve injurieuse et funeste qui n’a rien épargné, avait en face de lui un clergé en possession des honneurs, des dignités et des richesses ; il parlait avant 93 ; avant l’heure sanglante des épreuves, et nulle ombre sinistre ne se projetait sur son sarcasme. Je crois rendre plus de justice à l’auteur de l’Essai sur les Moeurs que M. Hugo, qui l’imite en le diffamant ; je crois rendre plus de justice à cet incomparable esprit en me figurant qu’il eût renié, avec cet instinct du courage qui ne s’acharne point aux vaincus, avec cet instinct supérieur du talent qui méprise les déclamations usées, cette postérité bâtarde, occupée depuis soixante ans à exprimer de ses livres tout ce qu’il y a d’humeurs agressives, de caprices injurieux et de vivacités émoussées. Peut-être même
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