le développement de la pensée littéraire et le développement social, de telle sorte que tout ce qui se produit dans la littérature, — progrès, stagnation, excès hideux ou décadence, — est l’infaillible indice de ce qui fermente au cœur même de la société. Appliquez cette vérité à notre temps : deux ans sont passés depuis que le tourbillon d’un jour d’hiver nous a livrés à l’inconnu ; — où avez-vous pu signaler quelqu’une de ces manifestations spontanées et éclatantes qui rendent témoignage d’une vitalité nouvelle ? Fécondité de l’art, vivacité de goût, puissance saine de l’imagination, vigueur ou élégance de la raison virile, — tous ces signes d’une société cultivée et heureuse, qui nous les rendra, qui les fera de nouveau surgir à notre horizon ? qui rendra la certitude et le courage aux esprits qui les ont perdus ? où sont les talens qui, attendaient ce jour pour naître ? C’est un des spectacles les plus saisissans qui puissent, s’offrir à la clairvoyance humaine. Une révolution surgit : ce n’est point la confiance orgueilleuse en elle-même qui lui manque sans doute vous le croyez ; elle va produire ses orateurs, ses écrivains, ses poètes, comme une émanation propre de son génie ; elle va engendrer des caractères et des talens, comme tous les mouvemens, profonds et justes. Détrompez-vous ! ce qu’elle traîne au grand jour de la scène populaire, c’est l’impuissance arrogante et querelleuse, la médiocrité jalouse, la sottise venimeuse qui se plaît au chaos pour y régner ; c’est un composé de caractères déprimés et d’esprits malfaisans ou vulgaires, occupés à rechercher dans les curiosités révolutionnaires du passé quel personnage ils rajeuniront, quelle figure visible ils devront prendre. Elle va recruter un à un, sous nos yeux, les chevaliers errans : du paradoxe littéraire, usés déjà dans cette démagogie anticipée qu’ils avaient introduite dans l’art. Incompréhensible régime de stérilité maladive, d’indigence furieuse, de passions basses plutôt que profondes, d’inventions niaises et de langage barbare ! Que peut prouver cette manifeste impuissance de l’esprit révolutionnaire depuis deux ans ? C’est qu’il faut bien, apparemment, qu’il porte en lui quelque chose qui flétrisse la nature morale, la nature intellectuelle ; c’est qu’il faut bien que, dans l’atmosphère créée par lui, il y ait quelque chose d’incompatible avec le développement régulier et sain des facultés humaines puisque les intelligences s’y énervent, s’y dissipent ou s’y abrutissent. Et quels sont aujourd’hui, au contraire, les hommes qui nous apparaissent comme les dépositaires de la pensée et de l’éloquence dans notre pays, qui grandissent même sous notre regard ? Ne sont-ce pas ceux qui luttent contre cette domination, qui s’en font les glorieux rebelles, et signalent chaque jour, avec l’indignation de l’honnêteté révoltée, les progrès de l’envahissement révolutionnaire dans l’ordre politique, comme dans l’ordre moral, comme dans l’ordre littéraire ?
L’intérêt profond et actuel de l’heure où nous vivons, c’est de savoir