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deux reprises différentes, on le vit à Alger, mais avec des fortunes bien diverses. La première fois, dans toute sa splendeur, il voyageait avec le prince Puckler-Muskau, qui en parle dans ses Lettres, ne le désignant pourtant que par ses initiales ; la seconde, en 1840, il avait revêtu le sac du fantassin et marchait vers le col de Mouzaia, dans les rangs de la légion étrangère. Une des grandes lois de la nature, à laquelle nul ne se soustrait, condamne l’homme, lorsque ses pieds touchent la terre, à n’avancer que par un mouvement régulier des jambes ; or ce mouvement déplaisait souverainement au caïd. C’est assez dire que le métier de fantassin n’était guère de son goût. Aussi, après une campagne où les fatigues avaient été si rudes que dans sa compagnie vingt cinq hommes seulement sur cent restèrent debout, le caïd se fit remplacer et quitta la légion.

Le voilà libre de nouveau, prêt à courir les grands chemins ; mais il avait compté sans l’amour, sans une passion qui dura six mois de Mauresque à Allemand. À mi-côte de Mustapha, une maison entourée de verdure se dressait blanche et fraîche, dominant la baie d’Alger et ses splendeurs. Armide, en ce beau lieu, se nommait Aïcha, et jamais poète de l’Orient n’a rêvé créature plus charmante. Faut-il donc s’étonner si, sous ces ombrages, six mois se passèrent dans la paix, le calme et le repos. Chaque matin, la rieuse jeune femme venait s’asseoir à ses genoux, tandis que sur une petite table arabe, au milieu des parfums et des fleurs, Osman écrivait la vie d’un missionnaire protestant rencontré dans une de ses courses vagabondes[1].

Aïcha était déjà parvenue à prononcer quelques mots allemands : encore deux mois seulement, et certes elle serait devenue une digne Germaine ; mais, hélas ! dit la chronique, l’amour prussien fut moins constant que l’amour arabe, car un beau matin le bateau à vapeur de l’ouest partit en emportant César et sa fortune, c’est-à-dire un fusil et une lettre de recommandation, oubliée depuis deux ans, pour le général Lamoricière, qu’Osman avait connu chef de bataillon aux zouaves.

La province d’Oran, en 1841, était loin d’être soumise ; un vaillant cœur et un bon bras avaient alors souvent l’occasion de se montrer. Faut-il ajouter que Mohamed-Ould-Caïd-Osman, inscrit sous ce nom arabe sur les contrôles des spahis ; et Siquat qui s’engageait à la même époque, ne manquèrent pas à la fortune. Peu de temps après, Siquot était blessé, le caïd avait son cheval tué ; tous deux étaient mis à l’ordre du jour. Héros illustres ou célébrités inconnues ont toujours des envieux ; demandez plutôt au maréchal-des-logis Froidefond, vieux grognard

  1. Ce missionnaire, juif d’abord, s’était fait calviniste à Bâle, puis anglican, enfin missionnaire, moyennant récompense honnête. Il faisait grand commerce de Bibles qu’il vendait aux marchands de Tunis. Les feuillets des livres sacrés servaient à envelopper le beurre et le savon musulman. Le livre du caïd, publié à Carlsruhe, fit du bruit, fut défendu, et, grace à la défense, eut un suces fou.