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Le Kabyle Hamed, l’un des courriers, a déjà vécu avec nous à Bouffarik, où il était allé comme travailleur pendant la paix. Ce garçon à la physionomie franche, ouverte et rieuse avait pris goût à notre eau-de-vie, et préférait surtout l’existence d’Alger à toute autre. Là, en effet, il trouvait l’anisette à bons marché, des femmes selon ses désirs et de la musique durant toute la nuit. Revenu plus tard dans ses montagnes, le souvenir d’Alger ne le quittait pas, et un jour il osa proposer à sa femme de se retirer à Blidah, chez les Français. Celle-ci, effrayée, le dénonça au chef de la tribu, qui fit saisir Hamed, le roua de coups, donna sa femme à un autre, et prit pour lui quelques moutons et deux vaches qui composaient toute sa fortune. Pauvre et abandonné, Hamed vint à nous avec la pensée de se venger d’abord, puis de refaire sa fortune, c’est-à-dire de gagner au péril de sa vie, le plus promptement possible, un millier de francs. Lorsqu’il les aura amassés, il enlèvera une maîtresse qu’il a conservée dans une tribu voisine, ira vivre avec elle à Blidah. Celle-ci, plus aimante et plus dévouée que sa femme légitime, a consenti à le suivre. À chaque voyage, Hamed passe chez sa maîtresse, lui donne un foulard et quelques boudjous. En retour, il reçoit des oeufs des galettes et surtout des caresses, qui ne font jamais faute. Alors il nous revient heureux, confiant, prêt à recommencer ses courses aventureuses : Toutefois il y met une condition : jamais nous n’exigerons qu’il passe de nuit par le col. Pourquoi ? le voici.

Le col de Mouzaïa a été le théâtre des principales opérations des campagnes de l’année dernière ; beaucoup de gens y sont morts, et les routes, au nord comme au sud, les moindres ravins qui y aboutissent, sont jonchés de cadavres presque tous horriblement contractés par le soleil ou atrocement mutilés. Cet affreux spectacle nous a tous frappés ; mais il a surtout agi avec une grande force sur l’imagination des Arabes. Le bruit s’est répandu parmi eux que ces morts sans sépulture n’avaient pu trouver grace devant Dieu à cause de leur mutilation, et qu’ils se réunissaient toutes les nuits sur le col même pour y gémir et y pleurer ensemble. Un malheureux Arabe, en y passant il y a peu de temps, a entendu les lamentations de tous ces désolés ; il en est devenu fou de peur, et, dans un moment lucide, il a raconte que, durant plus d’une heure, il avait été poursuivi par ces gémissemens. En vain il s’était enfui, chaque buisson lui jetait un sanglot ; enfin il avait fini par perdre le sentiment, et s’était retrouvé le matin étendu près du bois des Oliviers. Cette superstition a gagné tout le pays, et voilà pourquoi Hamed ne passera jamais la nuit sur le col, sa vie fût-elle en jeu.

Il est arrivé, il y a un mois environ, deux déserteurs européens ; l’un sort des zéphyrs, l’autre de la légion étrangère. Ce dernier se nomme Glockner ; c’est un Bavarois, fils d’un ancien commissaire des guerres au service de la France, neveu d’une des sommités militaires de la