boeufs, dix chevaux ou mulets, une trentaine d’ânes, quinze cents moutons ou chèvres, après avoir tué en outre une vingtaine d’Arabes ; c’est l’abondance pour plus de trois mois. Aussi la joie est sur tous les visages, et l’ordinaire le plus modeste est devenu un festin. Par l’ordre du colonel, vingt moutons par compagnie ont été distribués ; l’on a donné à chaque officier deux chèvres laitières ; les sous-officiers de toutes les compagnies ont reçu aussi un cadeau semblable.
Après cette petite expédition, nos troupes ont repris leurs travaux habituels. Les Kabyles ont paru un instant vouloir les attaquer ; mais, malgré les coups de crosse des cavaliers de Berkani, qui les poussaient au combat, il n’y a eu que quelques tirailleries insignifiantes. En revanche, le froid et la neige ont repris de plus belle. Enfin, le dégel arrive ; il était temps pour notre troupeau aux abois.
Le 30, les Kabyles reparaissent, poussés par des cavaliers ; ils recommencent. Le lendemain, la fusillade a été plus vive ; elle a duré environ une heure ; puis des pourparlers s’établissent sur plusieurs points à la fois.
Un groupe de cavaliers, remarquables par leurs chevaux et la blancheur de leurs burnous, s’est approché d’une redoute et a demandé des nouvelles des prisonniers, d’un nommé Ben-Abbès entre autres, qu’ils désiraient voir.
— Venez le voir en ville, leur dit-on ; vous serez bien reçus et libres de vous en retourner après.
— Nous voulons le voir ici.
— Alors, si vous ne disparaissez à l’instant, nous allons vous tirer des coups de canon.
Et deux minutes plus tard un obus éclatait près d’eux. Aussitôt ils s’éloignent ventre à terre. Non loin de là, un Kabyle qui a déposé son fusil s’est approché de l’un de nos factionnaires, et la conversation suivante s’est engagée :
Mets ton fusil par terre aussi, et viens de mon côté.
— Voilà ! Mais n’as-tu pas un pistolet caché ?
— Non, je te le jure : je suis homme de cœur, et honte à, celui qui aurait la pensée de manquer à sa parole !
— Que viens-tu faire ici ? Pourquoi ne pas rester paisible chez toi à labourer ton champ ou à soigner tes troupeaux ? .
— Je ne puis pas, les soldats d’Abd-et-Kader me forcent de venir tirer des coups de fusil.
— Mais pourquoi ne viennent-ils pas eux-mêmes ? Ce sont des femmes ou des lâches.
— Sans doute, mais ils sont plus forts que nous.
— Eh bien ! soumettez-vous, venez avec vos femmes et vos troupeaux : nous vous donnerons des terres et nous vous protégerons.