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servi de base à la célèbre loi de M. Guizot, cités plus d’une fois comme autorité au parlement et traduits en anglais, adoptés comme manuels par l’état de New-York, attestent bien vivement cette intelligence nette des questions pratiques, reconnue par les deux pays les plus positifs du monde. Spontanéité et réflexion, ces deux mots empruntés à la langue philosophique de M. Cousin, le peignent lui-même au vif. C’est son caractère le plus distinctif, entre toutes les individualités contemporaines les plus complètes, d’associer ces deux qualités contraires au degré le plus éminent dans sa personne comme dans son talent. Si sa pensée est remarquable par une certaine force de concentration, sa conversation est l’image même de la vie dans son expansion la plus riche.

On dit tous les jours que l’esprit de conversation est perdu en France. Il serait facile d’opposer plus d’un brillant démenti à cette hautaine condamnation du temps présent en matière d’esprit. M. Cousin est certainement un de ces démentis. Il est difficile également de rendre d’une manière vivante à ceux qui ne l’ont pas vu l’étincelant causeur et de le reproduire pour ceux qui l’ont approché. Tout parle en M. Cousin, le visage, les yeux et le geste. C’est un spectacle des plus attrayans et parfois des plus saisissans que cette parole d’une variété infinie embrassant tout dans sa sphère, les idées et les individus, l’art et la philosophie, l’histoire ou simplement la nouvelle du jour ; tantôt s’attachant fortement à quelque grand sujet et s’élevant jusqu’à l’enthousiasme, non moins transportée par l’image du beau que par l’idée pure ; tantôt vagabonde, courant sur la cime de tout objet avec une spirituelle légèreté, gravant d’un trait, peignant d’un mot, aventureuse comme la fantaisie. M. Cousin, quand il cause, a sa muse, muse capricieuse, qui, comme celle du poète, tour à tour se borne à docilement lui obéir, tour à tour semble l’assaillir et lui faire violence. La passion peut avoir ainsi sa minute, son éloquent quart d’heure ; le point de vue exclusif, son règne d’un moment, comme par revanche contre l’éclectisme, comme par représailles de l’homme contre le philosophe ; mais attendez un peu : le mot excessif aura bientôt son adoucissement ou son correctif ; l’imagination va trouver tout à l’heure son maître ; le jugement impartial, la raison étendue ne tardera pas à rentrer en possession de tous ses droits. L’imagination, chez M. Cousin, est tantôt une sujette qui rend à sa pensée les plus grands services, tantôt une esclave frémissante. Elle s’associe trop bien pour la dominer tout-à-fait et aux longs desseins qui supposent une volonté persévérante, et à une prudence profonde qui demande une intelligence et une ame parfaitement maîtresses d’elles-mêmes. Mais ce qui saisit dans l’homme au premier abord, c’est cette faculté d’artiste qui frémit à tout souffle, toujours active, toujours prête, dieu intérieur de la pensée, ou diable au corps, comme dit Voltaire avec moins de révérence et plus d’esprit.