l’orage, venus jusqu’à-nous. Des couvertures de cheval furent aussitôt jetées sur des cantines servant à la fois de chaises et de fauteuils ; un bol d’eau-de-vie à la flamme bleuâtre fut allumé en l’honneur de nos hôtes, et, chacun tirant de son étui de bois une pipe noircie, la soirée commença « Quand l’estomac est satisfait, la tête chante, » dit le proverbe arabe. Le proverbe a raison, et bientôt ce fut à qui raconterait une des mille aventures de son odyssée africaine. Combats, fêtes, plaisirs, coups de main, razzias, amours même, eurent tour à tour des narrateurs, — bien plus, des auditeurs attentifs. Un souvenir, un regret, étaient donnés en passant à ceux qui, moins heureux, avaient succombé dans la lutte souvenirs et regrets qui venaient du cœur ; car, lorsque le nom répété un matin par un journal, cite avec honneur, puis oublié l’instant d’après, a disparu de la pensée de tous, ce nom se prononce encore avec émotion dans la famille nouvelle, au régiment.
C’est ainsi qu’on rappela successivement les volontaires parisiens et les bataillons de la Charte, premier noyau des zouaves, l’assaut de Constantine et le commandant Lamoricière, puis ces combats sans nombre où les zouaves fondèrent leur glorieuse : réputation. Ensuite venait le commandant Peyraguay, ce vieux soldat, en cheveux blancs, l’ancien sergent du bataillon de l’île d’Elbe., qui, après avoir traversé tant de dangers, est mort à Tlemcen, face à l’ennemi, d’un coup de feu en pleine poitrine. Chacun s’oubliait dans le passé, et je me souviens encore du religieux silence avec lequel nous écoutâmes tous le récit des six mois d’hiver que les zouaves passèrent en 1840 à Médéah, la ville en ruines. — Que ne ferait-on avec nos zouaves ! ajoutait le narrateur pas un sentier où leurs coups de fusil n’aient retenti, pas un buisson qui ne redise une de leurs actions d’éclat. Vous rappelez-vous, l’année dernière, comme vous reveniez de Milianah, nous nous sommes croisés à Karoubet-el-Ouzeri, à l’entrée de la gorge, près, de la Mitidja ? Eh bien ! à côté de ce petit mamelon à la crête blanche où vous avez mis pied à terre, il s’est passé un fait d’armes dont nous conservons tous la mémoire : c’est là que d’Harcourt a été tué en tête de sa compagnie. Le capitaine Bosc yant quitté trop promptement une position importante, le colonel Cavaignac fut obligé de la faire occuper de nouveau. Lancée au pas de course, la compagnie escalade la colline, et, comme d’Harcourt débouchait le premier, une balle lui casse la crête. L’engagement fut très vif, d’un côté ; l’on arrivait au sommet par un sentier que les pluies d’orage avaient profondément creusé. Trois zouaves, un fourrer, un sergent nommé Razin et un caporal indigène, un Kabyle, prenaient ce chemin. Près d’atteindre au sommet de la crête, le vieux sergent décoré se voyait devancé par le fourrier plus jeune et, plus ingambe. « Ah çà, conscrit, lui cria-t-il, est-ce que tu as la prétention de passer