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L’imagination de M. Cousin comme philosophe et comme écrivain est d’une espèce à part dans notre tradition et dans notre siècle. Elle n’a ni cet air de mystère ni cette singulière exactitude de géomètre au sein des rêves qui caractérise Malebranche ; elle n’a que rarement et par courtes échappées la mélancolie moderne ; ses attributs éminens sont l’enthousiasme, le mouvement, l’élévation, l’éclat. Je termine par un trait à l’adresse de nos écrivains, souvent les plus illustres ; nul n’ignore plus que lui cette plaie de notre littérature, le remplissage. Tout est soutenu, mûri lentement dans ce qu’il écrit. Le style de M. Cousin ne réunit pas à un degré égal toutes les qualités, mais il a les principales de la grande manière, lumière, vivacité, hauteur. S’il n’est pas le plus complet, il est assurément le plus parfait de notre temps.

Ces qualités primesautières qui survivent sous l’appareil même de la science, ce jet heureux, inspiré, qui éclate sous l’énergique travail de la diction, admettent, supposent presque les dons de l’improvisateur et du causeur. Qui n’a pas entendu M. Cousin, je le répète, peut connaître les idées du philosophe, il ne connaît pas l’homme. Gardez-vous de croire que le talent oratoire de M. Cousin soit tout entier dans le mémoire sur la Défense de l’Université et de la philosophie, lu à la chambre des pairs. Non, c’est dans la parole soudaine qu’il se montre surtout, c’est alors, sous l’impression d’une passion vive et d’une pensée excitée, que cette nature d’orateur, d’homme d’esprit, s’exalte, se dégage, éclate en tout son jour, pleine de verve énergique, piquante, plaisante, toujours d’imprévu. Le geste, l’organe accentué et flexible, qui se prête également au pathétique et à l’ironie, cette espèce de furia francese, qui, à la tribune comme sur le champ de bataille, s’allie si bien à une sorte de grace relevée, font de M. Cousin un improvisateur du premier ordre et une physionomie oratoire des plus frappantes qui se puissent voir. On se dit qu’il eût été un admirable tribun, s’il eût daigné l’être ; mais ce qui distingue son éloquence de l’éloquence des tribuns, ce qui ne l’abandonne guère dans le courant des affaires, c’est un sens d’une rare vigueur, un jugement ferme et haut, qui le rendent soit dans les conseils publics et dans les matières d’administration, soit dans le privé, un conseiller d’ordinaire si sûr et de si grand secours. On a fait à la raison des philosophes la réputation d’être plus énergique que sûre. Le raisonnement qui se développe avec simplicité et comme en droite ligne dans les sphères de l’abstraction éprouve souvent, on le conçoit, une sorte d’éblouissement devant les données si complexes de la pratique. M. Cousin, dans cette longue familiarité avec la pensée philosophique, n’a rien perdu de cette étendue et de cette pénétration du coup d’œil qui embrassent dans un objet les points de vue les plus divers, qui tiennent un compte rigoureux de l’obstacle, qui démêlent le réalisable du chimérique. Ses écrits sur l’instruction primaire, qui ont