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à la lettre que le vol c’est la propriété. Je passe tout cela ; le dégoût viendrait, s’il n’est, déjà venu, et je termine en admirant que la révolution puisse enfanter des filles assez indiscrètes pour en écrire les mémoires de cette encre-là. Comment s’y prendra-t-on pour en faire la satire, si c’est ainsi qu’on en célèbre la louange ?

Pourquoi maintenant ai-je employé tout ce temps, et tout ce papier à retracer ici les pitoyables fictions de ces plagiaires ? Était-ce pour le plaisir discourtois de les chagriner et de leur rendre en contrariété le méchant quart d’heure dont je leur suis redevable ? Ce serait d’une ame trop noire. Je regrette bien plutôt de n’avoir pas su mettre un peu de miel au bord de la coupe amère ; j’aurais voulu ménager davantage ces pauvres victimes d’elles-mêmes que j’aimerais à croire encore pardonnables, je suis moins tenté de les offenser que de les plaindre. Elles ne sont pas les premières coupables et n’ont qu’à moitié la responsabilité de leurs péchés. C’est parce que je tenais à montrer de qui part le mal et d’où il date, que je l’ai pris là sous cette transformation plus que naïve qui n’en déguisait rien. Nous sommes bien forcés de nous reconnaître nous-mêmes dans cette copie trop servile de nos inventions, et, comme la simplicité malavisée de nos imitateurs a justement choisi nos plus détestables endroits pour les reproduire avec une préférence qui les accuse encore davantage, il se pourrait peut-être qu’on en sentît mieux la laideur en les retrouvant ainsi dans le miroir grossissant où la main de l’Allemagne nous les présente. Si, en effet, cette laideur de nos mauvaises chimères et de nos mauvaises passions ressort avec quelque vivacité, de plus de la contrefaçon qui nous les emprunte pour les étaler dans des romans tels que ceux de Mme Aston et de Mme Kapp, il valait certainement la peine de faire lire ces choses à des lecteurs français. Nous ne serons jamais trop convaincus de la tristesse de certaines sottises que tant d’entre nous ont jadis plus ou moins caressées, ne fût-ce qu’en les appelant de beaux rêves.

Il est une autre conviction que nous devrions aussi tâcher d’acquérir, et qui se déduit forcément à mon sens de l’histoire même de Mme Aston. Le roman où Mme Aston a déposé sa littérature est de 1849 ; mais la confession où elle a raconté son cœur est de 1846. Or, l’une était pour sûr le prélude de l’autre, et nous devons en bonne justice faire droit à cette chronologie significative. Nous avons trop de penchant à supposer que le désordre moral, dont nous nous sommes aperçus, quand il avait déjà grandi comme un chêne, a poussé d’un seul jet, comme une plante vénéneuse dans une nuit d’orage ; nous excusons ainsi trop facilement la défaite qui nous a prouvé le néant de notre confiance, et nous en attribuons la cause au hasard, sans penser que c’est nous qui de longue date avons préparé notre faiblesse. Toutes les inclinations pernicieuses dont le triomphe subit nous a déconcertés s’étaient insensiblement