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C’est pourtant un affreux jésuite qui joue le jeu de la révolution, à cette seule, fin de tricher son partner. Il a des vues d’une profondeur qu’on ne saurait calculer d’après les indiscrétions, cette fois très réservées, de Mme Aston. Il fait pour l’instant cause commune avec les révolutionnaires, parce qu’il estime que ses bizarres alliés ne nuisent pas à la contre-révolution. Ceux-ci, de leur côté, professent, par la bouche de Mme Aston, qu’il leur faut une complète réaction pour arriver à une révolution complète. C’est un cercle vicieux qui menace de s’éterniser. Le père Angélicus ne semble pas très inquiet de savoir comment il en sortira « Nous avons chacun une mission différente, dit il à la baronne, mais nos moyens sont les mêmes. J’ai besoin, pour accomplir la mienne, de l’appui du parti radical ; il vous faut, pour la vôtre, les services du parti catholique. » Il n’y a jamais eu de diplomatie moins jésuitique, et le révérend père donne évidemment bien de l’avantage à celle qu’il ne craint pas d’appeler sa digne amie. Aussi la baronne traite avec lui de pair à compagnon, et lui fait rudement sentir qu’il ne gagnerait pas à rompre le pacte mystérieux. « Vous êtes une puissance, oui, et une considérable vous représentez l’église ; mais moi, prenez-y garde, je suis une puissance aussi : je suis le prolétariat et l’aristocratie en une même personne. » Tels sont les discours échangés par ces promeneurs sans pareils dans les Champs-Élysées de Vienne à l’heure du beau monde.

Par où donc s’était nouée une si incroyable connaissance ? Par le procédé le plus simple. La baronne Alice, introduite chez la princesse de Metternich, qui recevait, à ce qu’il paraît, une société assez mêlée, était devenue une favorite dans la maison, et, grace à sa pénétration extraordinaire, elle s’était rendue redoutable au père confesseur lui-même, en scrutant sa vie passée derrière son masque immobile. Celui-ci avait compris qu’il valait mieux l’avoir pour amie que pour ennemie, et c’est ainsi que le prêtre Angélicus et la malicieuse Alice mettaient maintenant leurs complots en commun.

Le prince Lichnowski se trouve pris, pour son malheur, entre ces deux comploteurs de haute volée. Mme Aston suppose qu’il les trahit tous les deux à la fois par la pusillanimité de ses ambitions. Sa mort n’est que l’équitable châtiment de cette trahison double. Ce ne sont point des brigands de bas étage qui ont fait un mauvais coup par hasard, par colère et par ivresse : c’est le saint père Angélicus et l’élégante baronne qui ont décrété, dans leur justice, cette affreuse exécution, pour venger chacun sa grande cause, tout en vengeant chacun aussi des offenses d’un ordre plus intime. Angélicus est probablement le supérieur de quelque confrérie de sanfédistes, un Rodin moins sale et moins virginal que celui de M. Eugène Sue. Lichnowsbi lui a donné des gages. La baronne est la présidente d’un certain comité des dix-huit