qui, au plus serré du roman, interrompt souvent l’action pour se livrer à ce genre d’éloquence. La vertueuse Nanna n’est pas, on le voit, pourvue d’une piété plus orthodoxe que Mme Kapp elle-même. Nanna, si douce et si compatissante, n’en appartient pas moins à cette fière école de la libre personnalité dont Mme Aston nous a révélé le fond ; elle y a sans doute introduit sa fille Elfride, et c’est une école qui mène loin. Quel singulier dérangement que celui qui peut assez troubler l’esprit d’une femme pour la porter jusqu’à renier cette naturelle dépendance de son sexe d’où lui vient sa force et son charme ! Quelle étrange dépravation d’idées ne faut-il pas pour avoir ambition de cette virilité monstrueuse ! Écoutez discuter cette thèse à l’allemande. Le député classique de Saint-Paul, le professeur Auring, soutient le droit de la barbe ; Nanna lui répond, et c’est un dialogue en règle.
« Lorsque les hommes emploient toutes les forces de leur intelligence à soutenir que la femme a son moi, son point d’appui ; son centre de gravité hors d’elle-même et seulement dans l’homme, que c’est par l’homme seul qu’elle arrive à la liberté, combien ils s’éloignent de la nature, et comme ils se perdent en partant de ce faux principe ! Comme ils méconnaissent le devoir que leur impose notre triste condition présente et notre foi dans un avenir meilleur, le devoir sacré de rendre la femme libre et de lui donner son point d’appui en elle-même ! »
Le professeur fait bien quelques objections ; il a peur que la tyrannie monocéphale de l’homme ne dégénère en anarchie oligarchique Mme Nanna le rassure.
« Oh ! que vous êtes vraiment un rouge impérialiste et monarchiste de la droite ! Est-ce que l’amour n’est pas là pour tout unir, pour tout égaliser, pour vous attirer les sympathies et vous abandonner la souveraineté sans conteste ? »
Et plus bas :
« Oh ! vous, homme de la science, de l’intelligence nue, pointue, anguleuse, analytique, vous qui n’avez jamais rencontré la femme avec le feu central, le feu solaire, le feu magnétique et fusionniste de son amour, de son intelligence et de sa bonté réunies, vous finissez par vous racornir dans la sécheresse de votre petite raison abstraite et anatomisante, qui ne vous laisse plus rien de votre humanité, etc., etc. »
Molière s’est moqué des précieuses de son temps, dont tout le crime était de vouloir ajouter à la noblesse du beau langage. Que c’étaient pourtant d’aimables pédantes à côté des précieuses du nouveau monde ! Il les trouvait trop hardies d’affecter tant d’autorité sur les manières et sur le discours ; encore n’était-ce qu’aux bourgeoises savantes, n’était-ce qu’aux fausses précieuses qu’il s’en prenait, et il a soin de nous avertir qu’il respectait les véritables. Nous n’avons plus aujourd’hui que les fausses et les ridicules ; seulement leurs prétentions ont changé d’objet. Négligeant beaucoup la grammaire, elles entreprennent de régenter la vie publique ; elles ont quitté la physique et les sonnets pour la