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en lui crevant les yeux (bien entendu sans le faire souffrir), pour humilier sa violence devant la faiblesse d’un enfant, — l’assassin par tempérament en lui achetant un étal de boucher, pour le mettre à même de passer ses rouges rages sur d’innocens agneaux.

Vous tous qui avez goûté ces rares inventions, qui vous êtes dit que cela ne serait pas si mal, que la loi était cruellement impitoyable et le criminel éminemment respectable, frappez-vous la poitrine en conscience, car ce sont ces inventions-là et d’autres pareilles qui ont miné sous vos pas le sol moral du pays ! Ne rions donc point quand nous les retrouvons rédigées en formules pédantesques ou pathétiques dans le méchant livre d’où sortent toutes ces réminiscences qui m’assaillent : Mme Kapp a été la dupe de notre propre duperie. Voici en quels termes solennels elle annonce et elle explique le genre de réparation qui va replacer Manhold au niveau de la sublime Nanna, et le rendre digne d’une femme si précieuse ; nous reconnaîtrons encore nos inspirations au passage :

« Du temps pour s’examiner et se recueillir, on en donne assez aux soi-disant criminels que nous gardons dans nos prisons ; mais ce qui leur manque et ce qu’on devrait leur donner, c’est le moyen de s’exercer librement à vouloir et à faire le bien pour arriver à une véritable résipiscence. On croit avoir tout sauvé quand on a mis à la place la prière et la foi. Ah ! laissez ce sombre désert de la croyance, cette insoutenable et cruelle théorie de la foi, qui ne peut se manifester par aucune réalité positive, et tournez-vous en vous-même. En vous-même, il existe une morale, plus pure et plus amoureuse, un fond plus riche en vertu nourrissante et fortifiante, une nature mieux faite et un développement plus conforme à la nature que dans les dogmes et les mystères de l’église militante et fanatisée. Il y en a qui devancent leur époque, et qui, du haut de leur conscience, comme Moise du mont Nebo, apercevant cette morale de l’avenir, la saluent comme une terre de promesse ; mais il n’est réservé de l’atteindre qu’à d’autres générations. Elle s’approche cependant, et celui-là seul qui ne veut pas entendre n’entend pas son vigoureux coup d’aile.

« Non, ne me conduisez pas auprès de cette femme, de cet homme, auprès de ce jeune garçon ou de cette jeune fille, en me disant : Ils croient et confessent, ils s’abaissent sous la main de Dieu ! Je pense, moi, que ce sont ou des natures débiles, trop énervées pour une véritable amélioration, ou bien des hypocrites. Amenez-moi vos prétendus endurcis, les hommes à la puissante volonté, les forts ; je vais les tirer de leur prison, les placer là où ils ont failli, les remettre sur le théâtre de leur faute, non pour les y attacher au pilori de la médisance et du préjugé, mais pour les y appeler à une activité plus bienfaisante. Je ne leur dirai pas : Priez et espérez en un meilleur monde ! Je leur dirai : Travaillez, rendez vous utiles aux autres, et cette vie vous offrira encore une plus belle récompense qu’à beaucoup d’entre ceux dont on n’a jamais contesté la valeur morale. »

C’est Mme Kapp qui parle ici en son nom : mais cette dissertation homilétique ne serait pas autrement déplacée dans la bouche de son héroïne,