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mettre l’insurrection en madrigaux, et pour celui-là vraiment la chute en est galante. Ne nous moquons pas trop pourtant de ce jargon d’outre-Rhin, car c’est sur nous, c’est sur notre charade de février, qu’on a pris mesure pour tailler ce bel éloge de l’émeute ; c’est nous qui, les premiers, nous sommes prêtes si complaisamment à payer les frais des fantaisies poétiques de nos littérateurs en détresse ; c’est chez nous que la révolution a été au pied de la lettre le poème artificiel d’un improvisateur aux abois, la continuation pratique d’un mauvais feuilleton.

Elfride, qui est généreuse, essaie d’excuser l’indifférence de sa compagne, et veut lui donner meilleur air au point de sue démocratique ; mais Alvine n’accepte point cette indulgente pitié : « Je ne prends, dit-elle, aucun plaisir à la politique, et tous vos discours sur la liberté, l’unité et la fraternité me font rire comme les querelles de mon chat avec mon chien. » La mutinerie de cette enfant rétrograde n’est pas sans doute un modèle de grace, mais elle a du sens après tout. Pierre Meyer, inexorable, s’en va continuer à Vienne son métier de Francfort, et Elfride s’enfonce dans ses études. Ces deux jeunes cœurs « sont heureux de la hauteur de leurs sentimens ; ils nagent comme de hardis nageurs sur les flots du temps… L’ame d’Elfride s’embrasait ; elle était tout amour, mais c’était un amour tel que le comporte notre siècle dans les esprits qui aspirent à la liberté ; c’était un amour qui, contenu par la conscience la plus sublime, ne pouvait se soumettre ni à prouver sa légitimité par la sèche analyse, ni à subir les liens étroits de la morale usuelle. » Voyez-vous la théorie de la libre personnalité que Mme Aston nous exposait tout à l’heure s’infiltrer au plus profond des entrailles de cette vierge socialiste et la conduire, Dieu sait où ? La naïve Chloé n’avait pas, à coup sûr, autant de philosophie dans son fait ; mais pour aller plus au naturel, le fait en somme était-il bien différent ? Mme Kapp n’en est point à s’inquiéter de ces bagatelles ; elle prend les gens et les choses de plus haut ; son couple amoureux plane sur des cimes où tout autre gèlerait : « O gloire, ô unité de la grande patrie commune ! O nos chères espérances détruites ! qu’était-ce pour vous ranimer que l’ardeur isolée de cette tendre adolescence ? qu’était-ce que ces deux aérolithes dans les sombres régions d’un ciel sans étoiles, ou plutôt dans les steppes et les sables de la stupidité, de l’indifférence et de la paix à tout prix du baurgeoisisme ? »

Nous n’en finirions pas avec cette histoire d’Elfride ; arrivons tout de suite à la conclusion. Pierre Meyer envoie à son amie le journal du siège de Vienne ; c’est en prose et en vers comme les Lettres sur la mythologie, et cela se termine par un dizain où il est écrit que « Kossuth portera l’oriflamme aussi long-temps que les jours succéderont aux nuits, aussi long-temps que les arbres s’élanceront dans les airs, aussi long-temps, etc., etc. » Pierre Meyer a donc rejoint l’armée des