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est précieuse parce qu’elle trahit au naturel la sotte et pauvre mine de semblables créations.

Elfride a été finir son éducation dans une famille des environs de Francfort, où elle rencontre une autre jeune fille nommée Alwine, qui est ou à peu près la fiancée de Pierre Meyer. Celui-ci tombe comme l’éclair entre les nouvelles amies ; il arrive en cachette du fond d’un de ces carrefours où périrent Auerswald et Lichnowski. « Permettez, demande Alwine à Elfride, que je vous présente Pierre Meyer, un étudiant de Vienne. — Un étudiant de Vienne ! s’écrie Elfride transportée – En chair et en os, mademoiselle, répond élégamment le trop aimable émeutier. Avez-vous ouï raconter ou lu quelque chose de nous ? » - Justement Elfride connaît le nom et les mérites de Pierre Meyer par les journaux, qu’elle lisait tous les soirs à sa mère aveugle dans le silence du vallon le Peuple de Westphalie peut-être ou le Travailleur de la Terre-Rouge. O Chloé, ce n’étaient pas les journaux qui vous disaient que Daphnis était Daphnis ! O Virginie, les journaux n’arrivaient pas jusque sous l’ombre de vos bananiers ! Elfride est même si bien au courant, qu’elle en remontre à Pierre Meyer, « qui n’a pas lu de journaux depuis des siècles ; » elle lui annonce la révolution viennoise du 6 octobre, celle dont les héros assassinèrent par façon d’intermède le général comte de Latour, pendirent à une lanterne le cadavre mutilé du loyal soldat, et tirèrent dessus comme dans une cible. L’étudiant s’exclame, désespéré : « Je dois partir, je pars. Les écoles se battent, et je n’y suis point ! » N’est-ce pas le vrai Grillon de la république rouge ? Alwine, dans les idées de Mme Kapp, figure une Agnès conservatrice et modérée dont les mesquins sentimens doivent servir de repoussoir à la brillante exaltation d’Elfride. Alwine soupire ; elle aurait la faiblesse de vouloir garder auprès d’elle le paladin de l’Aula. Le paladin réplique :

« . Ah ! Alwine, en ce point-là nous ne nous comprenons plus. Raisonnable et prudente comme la vieillesse, vous n’avez pas en politique cette jeunesse dont vous êtes pourtant une si ravissante image. Croyez-vous que si nous nous fussions tant consultés dans l’Aula, notre enthousiasme aurait atteint jusqu’à ce degré d’audace ? La réflexion eût été pour nous le coup de la mort. Une révolution est un poème que le poète portait en lui-même sans le savoir, sans en avoir conscience, et qui jaillit de sa plume à l’heure de l’inspiration sans autre règle que la loi de sa nature et de son génie. Notre révolution était-elle autre chose ? Elle existait dans le cœur des masses, dans l’esprit les libres penseurs, comme le poème existe avant sa révélation dans l’ame du poète. Elle s’est manifestée dans une heure à jamais mémorable. Et comme il est divin de se voir ainsi compris à la première lecture ! ajouta-t-il avec un mouvement de joie, et il saisit la main d’Elfride et la baisa. »

Voilà qui vaut mieux que les rondeaux de Benserade : cela s’appelle