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lieu simultanément pour la critique littéraire étendant sa vue par l’étude comparée de l’Angleterre, de l’Allemagne, de toutes les littératures européennes ; mais il y aurait danger à prolonger pareille œuvre outre mesure. Entre la pensée non moins réglée que libre de Descartes et de Bossuet et la spéculation délirante de la moderne Allemagne, entre la psychologie et la morale d’une part et de l’autre les doctrines sociales étayées sur l’athéisme qui débordent de l’hégélianisme sur l’Allemagne et sur la France, il ne saurait y avoir rien de commun. Ayons désormais cet orgueil de croire que ce ne doit plus être à nous d’aller vers l’Allemagne, mais à l’Allemagne, redevenue sage, de venir à nous. Que si elle aspire du moins à garder une domination légitime, qu’elle produise un nouveau Leibnitz pour combattre et pour corriger ses modernes Spinosa.

Quelles que soient donc les vicissitudes réservées dans l’avenir à la philosophie française, rien ne pourra retirer à M. Cousin l’honneur d’avoir établi sur les bases les plus fermes une doctrine conservatrice et libérale tout ensemble, dont la fécondité est loin d’être épuisée. Les éminens services du réformateur de l’école française ne seront pas plus contestés en ce qui touche l’histoire de la philosophie, dont il est parmi nous le créateur. Esprit d’une élévation supérieure et d’une merveilleuse étendue, M. Cousin, sans être placé au nombre des grands inventeurs, prendra rang certainement parmi les rénovateurs et les inspirateurs les plus puissans de la pensée philosophique. Si la doctrine dont lui-même est l’apôtre ne réalise pas l’idée de cette science universelle, idéal éternellement poursuivi par l’ambition de la pensée, si elle ne renferme pas le résumé de tous les progrès, du moins elle ne fait obstacle à aucun, car elle est par excellence l’impartialité, la tolérance, l’étendue, car elle touche à tous les perfectionnemens par la morale. Pour se compléter elle-même et pour agir plus fortement sur le siècle, ce sera sa tâche désormais indispensable de renouer l’antique alliance, aujourd’hui trop relâchée, de la philosophie avec les sciences mathématiques et physiques, avec la physiologie et l’histoire naturelle, ce sera son devoir de resserrer plus étroitement encore les liens qui l’unissent aux sciences sociales, auxquelles seule elle peut donner une ame et une organisation supérieure.

À ce point de vue de l’influence de la philosophie s’unissant à la haute économie politique, à la science des rapports sociaux, si prodigieusement embrouillée de nos jours par l’esprit de secte et par les passions, nous sommes loin de croire que le rôle de M. Cousin soit achevé encore. Il a trop bien prouvé que la muse austère sait, elle aussi, quand il le faut, manier l’épée du combat, pour que ses facultés, encore si animées de ce souffle de jeunesse qui leur prêta tant d’éclat, puissent demeurer oisives en présence du danger social. Justice