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laborieuses de notre destinée ; mais devraient-elles jamais boire le vin de colère et de déraison dont l’ivresse déborde dans ces œuvres féminines qui m’arrivent à l’instant d’Allemagne, si galamment brochées en couleur bleu de ciel ou beurre frais ?


I

Manhold est le nom du héros de Mme Kapp ; Révolution et Contre-révolution, c’est le thème du roman de Mme Aston. Encore une digression pour laquelle je demanderais grace, si cette digression n’était pas en somme le sujet lui-même ; encore un chapitre d’exégèse avant d’aborder ces malencontreuses légendes déjà festonnées autour de notre histoire contemporaine : — qui sont les auteurs dont il en faut remercier l’imagination ? qui est donc Mme Kapp et qui est Mme Aston ?

De la première je ne connaissais absolument rien, lorsque je lus dernièrement dans un journal ces quelques lignes, qui sont tout ce que j’ai appris d’elle : « Mme Ottilie Kapp, écrivait le rewiever germanique, appartient à une estimable famille de directeurs de gymnase et de professeurs qui est répandue par toute l’Allemagne, et où les enfans sucent avec le lait la moelle de la philosophie hégélienne. » J’ose dire qu’on s’en aperçoit plus tard, et je m’en tiens là pour toute information, ne voulant point d’ailleurs, parler des gens plus qu’ils ne font parler d’eux. Mme Louise Aston est beaucoup moins restée sur la réserve ; je n’ai pas de motif pour être à son égard plus discret qu’elle-même. Voici bientôt quatre ans qu’elle a jugé opportun de publier ses propres mésaventures, et je suis obligé de rappeler ici l’autobiographie de 1846, parce qu’elle est peut-être la cause et certainement la clé du roman de 1849. Mme Aston a mis du roman dans ses mémoires ; je suis assez tenté de croire qu’elle a mis ensuite plus d’un souvenir personnel dans le roman : la charité m’ordonne de supposer que ce n’est pas aux scènes les plus vives.

Mon Émancipation, mon Bannissement et mon Apologie, par Louise Aston, tel était le titre du petit factum qui parut à Bruxelles en 1846. Il y avait à Berlin, dans les premiers mois de cette même année, une femme qui s’habillait en homme, qui fumait outrageusement, qui dissertait avec audace sur la religion et le salut, avec chaleur sur les libres amours du phalanstère, avec mépris sur les mariages cérémonieux des conseillers intimes et autres philistins. Les correspondans des gazettes allemandes annonçaient ; en renchérissant toujours les uns sur les autres, qu’elle allait fonder ou qu’elle avait fondé un club à l’usage de son sexe ; qu’on y buvait ou qu’on y boirait des chopes et des grogs, et que les dames, quand on y danserait, iraient elles-mêmes inviter leurs cavaliers. Enfin, quelque litterat fouriériste avait jugé à