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Nous avons des modèles blonds et bruns de toutes les aberrations de l’esprit féminin. Nous avons des héroïnes quasi-méthodistes qui prêchent compendieusement et vertueusement l’émancipation universelle ; nous avons des amazones qui paient de leur personne sur ce champ scabreux de la science nouvelle, et qui professent d’autant mieux qu’elles pratiquent. Mme kapp s’est livrée de prédilection à l’étude dogmatique de ces matières passionnées, et c’est uniquement pour sauver la forme qu’elle a encadré son travail de philosophie régénérée dans une idylle qui n’est pas d’ailleurs autrement malhonnête : son livre tient ainsi tout ensemble et de la pastorale et du manuel classique. Mme Aston a des procédés moins languissans ; ce n’est pas trop de la crudité des contes les plus décolletés de M. Eugène Sue, ce n’est pas trop des horreurs de nos plus fougueux mélodrames pour exprimer la vivacité de ses opinions politiques et religieuses, pour lui fournir des personnages qui soient de taille à représenter ses propres impressions. Du reste, à part cette différence extérieure, ces deux dames vivent évidemment sur un fonds d’idées communes. Elles ont le même amour pour les insurrections et les insurgés, le même verbiage républicain, le même fanatisme d’orgueil individuel et d’indépendance désordonnée, la même affectation d’esprit fort, le même besoin d’étaler leur adoration pour le genre humain et leur pitié pour le bon Dieu, enfin, par-dessus tout, la même ardeur à conquérir les droits imprescriptibles de leur sexe. Une dernière ressemblance rapproche encore leurs œuvres : le talent d’invention et de style y manque à peu près au même degré. Ce n’est point de la littérature, et, si je n’y cherchais que cela, je serais vraiment inexcusable d’aller soulever l’ombre qui couvre ces pauvretés ; mais il s’agit ici beaucoup plus d’anatomie morale que de critique intellectuelle. Ce sont des végétations maladives qui reproduisent à la surface du corps social ; et qu’il faut fouiller avec le scalpel, pour se rendre compte de la dissolution intérieure qu’elles accusent. Je regrette que le scalpel soit de sa nature si brutal, et n’ait point à l’occasion la courtoisie qu’il devrait : je prie seulement qu’on n’impute pas au chirurgien la faute de l’instrument.

Après tout, pourquoi n’en conviendrais-je pas ? j’en veux à ces petits livres déjà presque, ignorés, quoiqu’ils datent d’hier ; je leur en veux du contraste choquant par lequel ils finissent de détruire un ancien rêve de ma jeunesse. Autrefois, il y a long-temps, j’avais un songe favori que je voyais volontiers partout comme on entend toujours le refrain qui vous plaît dans la sonnerie des cloches : c était un idéal du chez soi, un mirage de béatitude domestique et de paix intérieure que j’appelais la vie allemande, parce que la profondeur de ce calme sympathique me semblait trop en dehors de nos bruyantes frivolités. Mettez-vous à lire par régime les vieux romans d’Auguste Lafontaine, des