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Quant à la politique extérieure du grand ministre, cette partie de son œuvre, non moins admirable que l’autre, a de plus le singulier mérite de n’avoir rien perdu par le cours du temps et les révolutions de l’Europe, d’être pour nous, après deux siècles, aussi vivante, aussi nationale qu’au premier jour. C’est la politique même qui, depuis la chute de l’empire et la résurrection de la France libérale, n’a cessé de former, pour ainsi dire, une part de la conscience du pays ; c’est celle que la nation demandait avec instance et avec menace à deux régimes qu’elle a brisés, celle que, dans sa pleine liberté d’action, elle veut pratiquer désormais. Le maintien des nationalités indépendantes, l’affranchissement des nationalités opprimées, le respect des liens naturels, que forme la communauté de race et de langue, la paix et l’amitié pour les faibles, la guerre contre les oppresseurs de la liberté et de la civilisation générales tous ces devoirs que s’impose notre libéralisme démocratique furent implicitement compris dans le plan de conduite au dehors dicté à un roi par homme d’état dont l’idéal au-dedans était le pouvoir absolu[1]. Sur la question des droits de la France à un agrandissement qui lui donne ses frontières définitives, question souvent posée depuis trois siècles et aujourd’hui encore pendante, Henri IV disait : « Je veux bien que la langue espagnole demeure à l’Espagnol, l’allemande à l’Allemand, mais toute la françoise doit être à moi[2]. » Un contemporain de Richelieu, peut-être l’un de ses confidens, lui fait dire : « Le but de mon ministère a été celui-ci : rétablir les limites naturelles de la Gaule, identifier la Gaule avec la France, et partout où fut l’ancienne Gaule constituer la nouvelle[3]. » De ces deux principes combinés ensemble et se modérant l’un l’autre, sortira, quand les temps seront venus, la fixation dernière du sol français possédé par nous à

  1. Il est curieux de voir dans quels termes de dévouement à la cause de l’émancipation européenne lui-même parle de son intervention dans les affaires de l’Italie ; de l’Allemagne et des Pays-Bas.A chaque événement militaire ou diplomatique, il s’agit d’affranchir un prince ou un peuple de l’oppression des Espagnols, de la tyrannie de la maison d’Autriche ; de la terreur causée par l’avidité insatiable de cette maison ennemie du repos de la chrétienté, d’arrêter ses usurpations, de lui faire rendre ce qu’elle a usurpé en Suisse ou en Italie, de garantir toute l’Italie de son injuste oppression, de veiller au salut de toute l’Italie, de sauver et d’assurer contre l’Autriche les droits des princes de l’empire. (Testament politique du cardinal de Richelieu, première partie, chapitre Ier, p. 9, 10, 14, 15, 18, 24, 25 et 26.)
  2. Histoire du règne de Henri-le-Grand, par Mathieu, t. II, p. 444.
  3. « Hic ministerii mei scopus, restituere Galliae limites, quos natura praefixit… confundere Galliam cum Francià, et ubicumque fuit antiqua Gallia, ibi restaurare novem. » Testamentum politicum, ap. Petri Labbe Elogia sacra, etc. Ed. 1706, p. 253 et suiv.) – La pièce qui renferme ces mots remarquables, et qui parut moins d’un an après la mort lu cardinal est une amplification incrustée, selon toute apparence, de paroles, textuellement recueillies de sa bouche. Richelieu aimait à s’épancher avec ses amis ; il dictait beaucoup à ceux qui l’entouraient, et, comme on l’a vu de Napoléon, des personnes curieuses prenaient note de ses entretiens.