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le poids de leur découragement. Chaque jour, suivant le récit de l’un d’entre eux[1] ils allaient battre le pavé du cloître des Augustins, pour se voir et apprendre ce qu’on voulait faire d’eux. Ils se demandaient l’un à l’autre des nouvelles de la cour. Ce qu’ils souhaitaient d’elle, c’était d’être congédiés ; et tous en cherchaient moyen, pressés qu’ils étaient de quitter une ville où ils se trouvaient, dit le même récit, errans et oisifs, sans affaires, ni publiques, ni privées. Le sentiment de leur devoir les tira de cette langueur. Ils songèrent que le conseil du roi étant à l’œuvre pour la préparation des réponses à faire aux cahiers, s’il arrivait que quelque décision y fût prise au détriment du peuple, on ne manquerait pas de rejeter le mal sur leur impatience de partir, et que d’ailleurs la noblesse et le clergé profiteraient de leur absence pour obtenir, à force de sollicitations, toute sorte d’avantages. Par ce double motif, les députés du tiers-état résolurent de ne demander aucun congé séparément, et d’attendre, pour se retirer, que le conseil eût décidé sur les points essentiels. Ils restèrent donc, et se réunirent plusieurs fois, en différens lieux, soutenant avec une certaine vigueur contre le premier ministre ; leur qualité de députés. Enfin, le 24 mars, les présidens des trois ordres furent mandés au Louvre. On leur dit que la multitude des articles contenus dans les cahiers ne permettait pas au roi d’y répondre aussi vite qu’il l’eût désiré, mais que, pour donner aux états une marque de sa bonne volonté, il accueillait d’avance leurs principales demandes, et leur faisait savoir qu’il avait résolu d’abolir la vénalité des charges, de réduire les pensions, et d’établir une chambre de justice contre les malversations des financiers ; qu’on pourvoirait à tout le reste le plus tôt possible, et que les députés pouvaient partir.

Ces trois points des cahiers étaient choisis avec adresse, comme touchant à la fois aux passions des trois ordres. La noblesse voyait dans l’abolition de l’hérédité et de la vénalité des offices un grand intérêt pour elle-même ; le tiers état voyait un grand intérêt pour le peuple dans le retranchement des pensions ; et l’assemblée avait été unanime pour maudire les financiers et réclamer l’établissement d’une juridiction spéciale contre leurs gains illicites. On pouvait même dire que la suppression de la paulette et de la vénalité était une demande commune des états, bien que chaque ordre eût fait cette demande par des motifs différens : la noblesse, pour son propre avantage ; le clergé, par sympathie pour la noblesse ; et le tiers-état en vue du bien public contre son intérêt particulier. Et quant à l’article des pensions qui avait fait éclater la division entre le tiers et les deux autres ordres, les

  1. Florimond Rapine, député du tiers-état de Nivernais.