bon accord, elle pressa de tout son pouvoir la remise des cahiers, promettant d’y répondre avant que le congé de départ fût donné aux députés. Ceux-ci demandèrent qu’on leur reconnût le droit de rester unis en corps d’états jusqu’à ce qu’ils eussent reçu la réponse du roi à leurs cahiers. C’était poser la question, encore indécise après trois siècles, du pouvoir des états-généraux ; la cour répondit d’une façon évasive, et, le 23 février 1615, quatre mois après l’ouverture des états, les cahiers des trois ordres furent présentés au roi, en séance solennelle, dans la grande salle de l’hôtel de Bourbon.
Le lendemain, les députés du tiers-état se rendirent au couvent des Augustins, lieu ordinaire de leurs séances ; ils trouvèrent la salle démeublée de bancs et de tapisseries, et leur président annonça que le roi et le chancelier lui avaient fait défense de tenir désormais aucune assemblée. Plus étonnés qu’ils n’auraient dû l’être, ils se répandirent en plaintes et en invectives contre le ministre et la cour ; ils s’accusaient eux-mêmes d’indolence et de faiblesse dans l’exécution de leur mandat ; ils se reprochaient d’avoir été quatre mois comme assoupis, au lieu de tenir tête au pouvoir et d’agir résolûment contre ceux qui pillaient et ruinaient le royaume. Un témoin et acteur de cette scène l’a décrite avec des expressions pleines de tristesse et de colère patriotique : « L’un, dit-il, se frappe la poitrine, avouant sa lâcheté, et voudroit chèrement racheter un voyage si infructueux, si pernicieux à l’état, et dommageable au royaume d’un jeune prince duquel il a craint la censure, quand l’âge lui aura donné une parfaite connoissance des désordres que les états n’ont pas retranchés, mais accrus, fomentés et approuvés. L’autre minute son retour, abhorre le séjour de Paris, désire sa maison, voir sa femme et ses amis pour noyer dans la douceur de si tendres gages la mémoire de la douleur que sa liberté mourante lui cause… Quoi, disions-nous, quelle honte, quelle confusion à toute la France, de voir ceux qui la représentent en si peu d’estime et si avilis, qu’on ignore s’ils sont François, tant s’en faut qu’on les reconnoisse pour députés !… Sommes-nous autres que ceux qui entrèrent hier dans la salle de Bourbon[1] ? » Cette question, qui était la question même de la souveraineté nationale, revint pour une autre assemblée cent soixante-quatorze ans plus tard, et alors une voix répondit : « Nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier, délibérons[2]. »
Mais rien n’était mûr en 1615 pour les choses que fit le tiers-état de 1789 ; les députés, à qui toute délibération était interdite, restèrent sous